la Basoche
final de l'acte I, dessin de Paul Destez
Opéra-comique en trois actes, livret d'Albert CARRÉ, musique d'André MESSAGER.
Création à l'Opéra-Comique (salle du Châtelet) le 30 mai 1890 ; décors d’Amable, Gardy et Lavastre, costumes de Bianchini, mise en scène de Paravey.
=> Critiques => Livret et enregistrements
personnages |
emplois |
Opéra-Comique 29 mai 1890 (création) |
Opéra-Comique 20 décembre 1890 (50e) |
Opéra-Comique 16 novembre 1900 (64e) |
Opéra-Comique 01 mars 1902 (100e) |
Opéra-Comique 20 décembre 1919 (121e) |
Marie d'Angleterre, femme de Louis XII | soprano | Mmes Lise LANDOUZY | Mmes Mathilde AUGUEZ | Mmes Catherine BAUX | Mmes Cécile EYREAMS | Mmes Antoinette RÉVILLE |
Colette, femme de Clément Marot | soprano | MOLÉ-TRUFFIER | MOLÉ-TRUFFIER | Marthe RIOTON | Jeanne TIPHAINE | Edmée FAVART |
1re Jeune Fille | Jeanne LECLERC | LYDEN | ARGENS | ARGENS | Jeanne CALAS | |
2e Jeune Fille | NAZEM | DOMINGUE | SONELLY | GARCIA | Andrée FAMIN | |
un Page | L. MULLER | DUTRANOIS | Maud MART | |||
Clément Marot, élève de la Basoche, 19 ans | ténor ou baryton | MM. Gabriel-Valentin SOULACROIX | MM. Gabriel-Valentin SOULACROIX | MM. Jean PÉRIER | MM. Jean PÉRIER | MM. André BAUGÉ |
le Duc de Longueville, 60 ans | baryton | Lucien FUGÈRE | Lucien FUGÈRE | Lucien FUGÈRE | Lucien FUGÈRE | Lucien FUGÈRE |
Jehan L'Éveillé, élève de la Basoche, 20 ans |
ténor |
Ernest CARBONNE |
Ernest CARBONNE |
Ernest CARBONNE |
Ernest CARBONNE |
Victor PUJOL |
Maître Guillot, hôtelier du Plat-d'Étain | trial | Paul BARNOLT | Paul BARNOLT | François-Antoine GRIVOT | Georges MESMAECKER | Georges MESMAECKER |
Roland, clerc | basse | César BERNAERT | César BERNAERT | Léon ROTHIER | Léon ROTHIER | Georges BOURGEOIS |
Louis XII, roi de France | baryton | Alfred MARIS | Alfred MARIS | Emile JACQUIN | Emile JACQUIN | Louis AZÉMA |
le Chancelier de la Basoche | Eugène THIERRY | Eugène THIERRY | Gustave HUBERDEAU | Gustave HUBERDEAU | Raymond GILLES | |
l'Ecuyer du Roi | Etienne TROY | Etienne TROY | André ALLARD | André ALLARD | Jean REYMOND | |
le Grand-Prévôt | LONATI | LONATI | DELAHAYE | DELAHAYE | ÉLOI | |
le Veilleur de nuit | LONATI | LONATI | Elie IMBERT | Elie IMBERT | Jean Adrien WINKOPP | |
Clercs, Béjaunes, Dignitaires de la Basoche, Seigneurs et Dames de la Cour, Sergents de la Prévôté, Jeunes filles, Peuple | ||||||
Chef d'orchestre | Jules DANBÉ | Jules DANBÉ | André MESSAGER | André MESSAGER | André MESSAGER |
La scène se passe à Paris, en octobre 1514.
Lucien Fugère (le Duc de Longueville) lors de la création
Marthe Rioton (Colette) lors de la reprise de 1900 à l'Opéra-Comique
personnages |
Opéra-Comique 11 mai 1929 (181e) |
Opéra-Comique 16 novembre 1929 (188e) |
Opéra-Comique 08 février 1940 (199e) |
Monnaie de Bruxelles 04 décembre 1890 (1re) |
Monnaie de Bruxelles 25 février 1905
|
Gaîté-Lyrique 29 mai 1908 (1re) |
Marie d'Angleterre | Mmes Antoinette RÉVILLE | Mmes Antoinette RÉVILLE | Mmes Lillie GRANDVAL | Mmes Marguerite CARRÈRE | Mmes Catherine BAUX | Mmes Jeanne GUIONIE |
Colette | Yvonne BROTHIER | Yvonne BROTHIER | Jane ROLLAND | NARDI | Cécile EYREAMS | MATHIEU-LUTZ |
1re Jeune Fille | Adélaïde VACCHINO | Andrée VAVON | Germaine CHELLET | Lydia COLBRANT | ||
2e Jeune Fille | Andrée BERNADET | Andrée BERNADET | Marinette FENOYER | Adrienne TOURIANE | ||
Jeunes Filles | Lily DANIÈRE, Lucienne BAGARD, Marguerite LEGOUHY, Christine LIANY | |||||
un Page | Maud MART | Maud MART | Dominique ARNAUD | |||
Clément Marot | MM. André BAUGÉ | MM. André BAUGÉ | MM. Roger BOURDIN | MM. Eugène BADIALI | MM. Alexis BOYER | MM. Fernand FRANCELL |
le Duc de Longueville | Lucien FUGÈRE | Lucien FUGÈRE | Louis MUSY | CHAPPUIS | Hippolyte BELHOMME | Lucien FUGÈRE |
Jehan L'Éveillé |
Victor PUJOL |
Victor PUJOL |
René HÉRENT |
ISOUARD |
Ernest FORGEUR |
DE POUMAYRAC |
Maître Guillot | Georges MESMAECKER | Georges MESMAECKER | Alban DERROJA | FROMENT | Victor CAISSO | Georges MESMAECKER |
Roland | Pierre DUPRÉ | Pierre DUPRÉ | POUJOLS | CHALLET | Charles DANLÉE | HUBERDEAU |
Louis XII | Louis AZÉMA | Louis AZÉMA | Jules BALDOUS | BÉNARD | Édouard COTREUIL | Louis AZÉMA |
le Chancelier de la Basoche | Raymond GILLES | Raymond GILLES | Louis DUFONT | Arthur FRANÇOIS | MELGATI | |
l'Ecuyer du Roi | Emile ROUSSEAU | Paul PAYEN | Paul PAYEN | Eugène LUBET | ||
le Grand-Prévôt | ÉLOI | ÉLOI | Henry BUCK | |||
le Veilleur de nuit | Emile ROUSSEAU | Paul PAYEN | Paul PAYEN | |||
un Officier | BRUN | Raymond GILLES | ||||
Jacquet | BONNORON | |||||
Chef d'orchestre | Gustave CLOËZ | Gustave CLOËZ | Albert WOLFF | André MESSAGER | Auguste AMALOU |
Reprise à l’Opéra-Comique le 19 décembre 1931.
208 représentations à l’Opéra-Comique au 31.12.1950, dont 145 entre le 01.01.1900 et le 31.12.1950.
Première à la Monnaie de Bruxelles le 04 décembre 1890. Reprise le 27 octobre 1939.
Première à Genève le 25 février 1891.
Cet ouvrage est entré au répertoire de la Gaîté-Lyrique le 29 mai 1908.
Résumé. L'action se passe à Paris en octobre 1514. « La Basoche » était la corporation des clercs du Palais, reconnue en 1302 par Philippe le Bel. Elle n'avait non seulement les privilèges de choisir son roi, mais en possédait encore un grand nombre, entre autres celui de frapper son argent. Les basochiens donnaient annuellement de grandes fêtes, qui leur ont laissé une mémoire joyeuse. Henri III supprima le titre de roi de la « Basoche ». — L'action est fondée sur l'hypothèse que le cortège et l'élection du roi de la Basoche tombent le même jour où la princesse Marie d'Angleterre (1496 – 1533), sœur du roi Henri VIII, fait son entrée à Paris au titre de jeune épouse de Louis XII (1462 – 1515), roi de France.
ACTE I. Devant l'hôtellerie du « Plat-d'Etain ». — La Basoche, corporation des clercs du Parlement, fête comme chaque année l'élection de son roi. Cette fois, l'élu est le poète Clément Marot (1496 – 1544), qui, sans sou ni maille, a brigué cette éphémère royauté à cause des avantages pécuniaires qu'elle peut lui rapporter. Le règlement de la Basoche exige que le roi soit célibataire, sous peine de déchéance ! Or Clément est marié à une jeune paysanne, Colette, qu'il cache aux environs de Paris. Celle-ci, inquiète de l'absence prolongée de son mari, s'en vient le relancer avant la fête. Tout va se découvrir, Clément va perdre son titre de roi, mais ses amis lui recommandent de se taire, dans l'intérêt de son mari. Elle obéit sans comprendre et se fait engager comme servante par maître Guillot, l'aubergiste du Plat-d'Etain. Sur ces entrefaites arrive le vieux duc de Longueville, revenant d'Angleterre, où il vient d'épouser par procuration, pour le compte du roi de France, Louis XII, la jeune princesse Marie, sœur d'Henri VIII. Le duc est accompagné de la nouvelle reine, espiègle et curieuse, qui a absolument voulu voir Paris avant d'être présentée à son royal époux ; et les hasards de la promenade amènent le couple au Plat-d'Etain, où la jeune femme décide de passer la nuit. Elle y rencontre Clément Marot, que la foule acclame aux cris de « Vive le roi ! » La jeune princesse le prend pour le roi de France, son époux, se promenant dans sa bonne ville de Paris, auquel elle ne doit être officiellement présentée que le lendemain.
ACTE II. La grande salle du « Plat-d'Etain ». — Colette, devenue servante au Plat-d'Etain, croit aussi, dans sa simplicité, que Clément est le roi de France et que par suite, elle-même doit être la reine. Elle a surpris les doux regards de la jeune princesse Marie pour Clément et une légère rivalité s'élève entre les deux femmes. Clément vient au cours de la soirée rassurer Colette, sans toutefois lui dire toute la vérité. La princesse Marie l'aperçoit et, toujours persuadée que Clément n'est autre que le roi de France, venu incognito au devant d'elle, l'invite à sa table. Le tête à tête devient tendre, mais est interrompu à propos par l'arrivée du duc de Longueville d'abord, puis des clercs de la Basoche. Le vieux duc parvient à grande peine à s'éloigner avec la princesse. Les clercs en cortège emmènent Clément à travers Paris, tandis que le roi Louis XII, informé de la présence de sa jeune épouse au Plat-d'Etain, l'envoie quérir par un de ses écuyers. C'est Colette qui se trouve là, et, qui se croyant être la reine, ne fait aucune difficulté pour suivre ce dernier à la Cour.
ACTE III. A l'Hôtel des Tournelles, la résidence royale. — On présente Colette à Louis XII alors qu'elle s'attendait à retrouver Clément. Le roi s'étonne de ce que la jeune femme prétend très bien connaître son mari et croit déjà à une trahison du duc de Longueville, ce qui crée une situation très amusante. Celui-ci, ignorant tout ce qui vient de se passer, arrive bientôt après, pour présenter au roi la véritable reine. Le roi, courroucé, lui annonce qu'il l'a déjà vue et qu'il la répudie ! Stupeur du duc, qui transmet à la princesse Marie cette nouvelle imprévue ! Ils se perdent en conjectures quand paraît Colette, dans le même costume que la vraie reine. Les deux jeunes femmes revendiquent chacune leur titre ; la situation menace de s'aggraver, lorsque l'arrivée de la Basoche, Clément en tête, venue pour saluer le roi Louis, permet à tout le monde d'avoir l'explication du quiproquo. Le roi Louis pardonne ; personne ne sera pendu ; mais, Clément abdiquant sa royauté d'un jour, partira en province, tandis que la reine Marie montera sur le trône de France, non sans un regard de regret pour le beau poète.
|
La Basoche, de M. Albert Carré, mise en musique par M. André Messager, est un conte galant agréable dont il ne faut pas trop scruter les profondeurs : la convention doit l’emporter ici sur la vraisemblance, que la convention soit plaisante et variée, c’est tout ce qu’il faut, et tel est le cas.
Il s’agit de Clément Marot, le poète aimable, aimable homme aussi et joyeux compagnon. Il s’est marié, ce poète, dans un moment d’entraînement, avec une simple fille des champs, Colette, qu’il a promptement laissée au logis, pour venir à Paris, où on nous le montre postulant le titre fragile de roi de la Basoche.
La Basoche, coopération sévèrement organisée, bien que peu sévère en ses actes, ne doit compter que des célibataires parmi ses membres. Elle a un roi, un chancelier, un huissier, des sergents. Le roi, ce sera Clément Marot, qui continue à se donner comme célibataire. Or, voici que Colette, se morfondant au domicile conjugal, vient à Paris, dans l’espoir bien légitime d’y rechercher son mari. Elle tombe, comme de juste, à l’auberge du Plat-d’Étain où les clercs de la Basoche tiennent leurs grandes assises. Clément Marot, tout entier à ses ambitieux projets, feint de ne pas la reconnaître. Bon cela, devant les clercs ses sujets, mais en particulier il lui donne rendez-vous, pour la nuit prochaine, dans l’auberge même.
D’autre part, la folle princesse Marie d’Angleterre est arrivée, le jour même, à Paris, en compagnie du vieux duc de Longueville, lequel l’a épousée par procuration du roi Louis XII, son maître. Avant de faire son entrée solennelle, dans sa bonne ville, la princesse a décidé qu’elle y passerait une journée incognito.
La providence du théâtre l’amène devant l’hôtellerie du Plat-d’Etain au moment précis où le populaire et les écoliers y acclament Clément Marot, élu roi de la Basoche. Aux cris de : Vive le roi ! à la vue du beau jeune homme coiffé du chaperon fleurdelisé, elle se croit en présence du vrai roi de France et entreprend de le séduire, en tout bien tout honneur, puisqu’elle est sa femme devant Dieu, de par le mandat du duc de Longueville.
Elle le fait donc inviter par ce dernier à venir souper avec elle au Plat-d’Étain. C’est au roi de France naturellement que l’invitation est transmise. Quand Clément Marot pénètre dans l’auberge pour y retrouver Colette, il se voit en présence de Marie d’Angleterre. De là une série de quiproquos dans le détail desquels je n’entrerai pas, et d’où il résulte que Colette elle-même qui, il faut le croire, ne s’est guère souciée des origines de son mari, finit par le prendre réellement pour le roi de France. Si bien que lorsque le bon Louis XII, auquel le duc de Longueville a porté l’invitation de la princesse Marie, envoie une escorte demander la reine, Colette répond de bonne foi et tranquillement : « C’est moi ! ».
On l’emmène au Louvre où, présentée au véritable souverain, elle se refuse absolument à le reconnaître pour son mari. Autre série de quiproquos, dont la reconnaissance de la vraie reine et la révélation de la véritable situation du roi de la Basoche font le dénouement prévu. Clément Marot renonce, pour les beaux yeux de Colette, à sa royauté basochienne et retourne aux champs où il sera libre d’aimer sa femme tout à son aise.
M. André Messager, un des meilleurs élèves de M. Camille Saint-Saëns, a commencé par donner, dans les concerts, diverses pièces instrumentales ; puis il a abordé le théâtre et fait représenter sur quelques scènes de genre des opérettes ou des œuvres fantaisistes, telles que Isoline. A l’Opéra, on a eu de lui le ballet des Deux Pigeons. A le juger sur ces productions, il m’était apparu, je dois le confesser, comme un triste, tout au moins un sentimental mal à l’aise dans le genre léger.
La Basoche est venue très heureusement modifier cette impression. Il n’éclate pas, là, certes, d’un large rire, mais il a de la finesse, de la délicatesse et de l’esprit. Une pointe d’archaïsme relève quelques-unes de ses inspirations personnelles. Bref, sans entrer dans plus de détails, sa partition est d’une agréable rencontre, d’une pittoresque allure et, çà et là, d’un très grand charme juvénile.
Son succès va engager assurément l’Opéra-Comique à se tourner un peu du côté de la comédie musicale, délaissée depuis quelque temps.
La Basoche est fort bien interprétée par MM. Soulacroix et Fugère, par Mmes Molé-Truffier et Landouzy, pour les quatre principaux rôles. Les décors sont très pittoresques.
(Louis Gallet, la Nouvelle Revue, 15 juin 1890)
|
Les principaux personnages de cet ouvrage sont le roi de France, Louis XII, sa femme Marie d'Angleterre, sœur de Henri VIII, et le poète Clément Marot. Néanmoins, et bien qu'il soit cousu d'invraisemblances, le livret est amusant et gai. La musique ne manque ni de mouvement, ni de grâce, ni de vivacité. (Nouveau Larousse Illustré, 1897-1904)
|
Le 30 mai 1890, Albert Carré, actuellement directeur de l'Opéra-Comique et M. André Messager, chef d'orchestre à ce même théâtre, faisaient représenter, place du Châtelet, la Basoche, dont le succès fut si éclatant que l'on put croire à la rénovation du genre « éminemment national », sous une forme plus affinée, plus châtiée aussi, avec les éléments introduits par l'art moderne, dans les compositions musicales même les plus légères. Faut-il s'en prendre à certaines obscurités du libretto, cependant si aimable et si pavé de bonnes intentions à l'égard du musicien, ou bien plutôt dénoncer la mauvaise habitude qu'avait le directeur d'alors — feu Léon Carvalho — de donner ses nouveautés en fin de saison, toujours est-il que la Basoche ne réalisa qu'imparfaitement les espérances fondées sur elle. Au bout d'une soixantaine de représentations, elle disparut de l'affiche pour n'y plus — hélas ! — reparaître, et les inspirations de M. Messager allèrent rejoindre tant de partitions qui avaient précédemment mis son nom en vedette. Aussi, comme l'on comprend que MM. Carré et Messager aient voulu en appeler au public, seul juge en dernier ressort des œuvres dramatiques et musicales. Il fallut l'autorisation de la toute puissante société des Auteurs et Compositeurs, on l'obtint sans peine, était-il possible de la refuser ? Et Clément Marot nous dictait, hier au soir, ses plus jolies chansons pendant que le tumultueuse basoche emplissait de ses fracas la nouvelle salle Favart. Je rappelais tout à l'heure certaines obscurités du livret où la future reine de France, Marie d'Angleterre, s'égarait à prendre Marot pour Louis XII, pendant que le duc de Longueville la croyait éprise de lui. Ces trop libres allures à l'égard de personnages historiques ne furent pas sans effaroucher quelque peu l'habituelle clientèle de l'Opéra-Comique, indulgente pour les crocs en jambe à histoire… à la condition qu'ils restent discrets et protocolaires. Cette fois la fantaisie s'en donnait à cœur joie et le bourgeois qui, par snobisme, a l'air de la priser, au fond du cœur la méprise sincèrement, se refusant à la comprendre ou plutôt à l'admettre, ce qui est tout un. Le succès très franc, décisif et unanime remporté hier soir par la Basoche me conduit à signaler les principales pages de la partition. Au premier acte : la première chanson de Marot : « Je suis aimé de la plus belle » ; la Villanelle : « Quand tu connaîtras Colette » ; l'épigramme : « Tu as tout seul, Jan-Jan, vignes et prés », sans accompagnement et d'une saveur si archaïque. Les couplets de l'Eveillé : « Dans ce grand Paris », l'un des meilleurs morceaux de l'ouvrage. Au second acte, après le brillant chœur de fête, il faut louer sans réserve la pastourelle de Colette ; mais, pour mon goût, c'est au troisième acte que se trouvent les deux meilleures pages de cet opéra-comique ; j'entends : les couplets de Clément Marot « A ton amour j'ai préféré cette chimère », et l’air bouffe du duc de Longueville « Elle m'aime », interprété avec tant de largeur comique et tout à la fois de suffisance naïve par l'excellent chanteur M. Fugère, dont la carrière si pleine de succès n'en connût jamais un plus personnel, plus indiscutable. Maintenant, comme la critique ne doit jamais perdre ses droits, le musicien d’Isoline (encore une œuvre que nous voudrions bien réentendre) me permettra de lui reprocher certaines facilités mélodiques, particulièrement dans les duos et les ensembles, plus bruyantes qu'originales et qui surchargent fâcheusement une partition très touffue où s'épanouissent tant et tant de jolies choses. Dans la première distribution nous trouvions Mmes Landouzy et Molé-Truffier, MM. Soulacroix, Fugère et Carbonne. Cette fois, Mlle Catherine Baux, premier prix de chant et d'opéra-comique des derniers concours du Conservatoire, a charmé le public par son étonnante agilité de voix. Mlle Rioton, vocaliste non moins habile que chanteuse intelligente, a prêté au rôle de Colette toutes les grâces et les gentillesses de sa personne. M. Périer, qui remplace M. Soulacroix, n'a pas la voix chaude et vibrante du créateur, mais il chante avec ce goût que procure un bonne méthode. A plus de dix années M. Carbonne retrouve son succès de l'Eveillé, et M. Jacquin, doué d'une belle voix qui se fera valoir prochainement, donne une belle prestance au roi Louis XII. L'exécution actuelle n'est pas, on le voit, inférieure à celle de 1890, les bravos nourris, répétés, chaleureux qui ont accueilli la Basoche hier au soir, sont la garantie certaine d'un succès durable où les deux auteurs trouveront leur compte et aussi le théâtre que M. Albert Carré dirige avec tant d'habileté, aidé de son collaborateur M. Messager. Tous deux doivent être félicités de leurs incessants efforts pour assurer à l'Opéra-Comique son glorieux renom : ils sont tous deux de ceux qui animent et soutiennent avec une fière probité artistique les plus nobles aspirations. (Dom Blasius [Auguste Foureau], l’Intransigeant, 18 novembre 1900)
|
Le livret, fourmillant d'invraisemblances, mettait en scène d'une façon assez burlesque, sinon ridicule, le roi de France Louis XII, son épouse Marie d'Angleterre, sœur de Henri VIII, et le gentil poète Clément Marot, qu'il faisait un peu plus sot que nature ; ce livret versait assez volontiers du côté de l'opérette, mais en somme il était gai, vif, mouvementé, et ces qualités, aujourd'hui si rares, le firent bien accueillir du public ; on a si bien chassé la gaieté de l'Opéra-Comique, depuis quelques années ! Pour ce qui est de la musique, elle aussi était vive, alerte, et d'une humeur agréable. On lui aurait bien souhaité un peu plus d'originalité, une mélodie non plus abondante et plus facile, mais plus fraîche et plus personnelle ; telle qu'elle était cependant, on la reçut aussi favorablement, parce qu'en somme livret et musique cadraient de leur mieux, que l'ensemble était agréable, et que les spectateurs de l'Opéra-Comique retrouvaient enfin dans cet ouvrage le genre aimable qui pendant plus d'un siècle a fait la fortune de ce théâtre et qu'il semble que les intéressés eux-mêmes s'efforcent de détruire obstinément et maladroitement, en dépit du goût et des désirs formels du public. (Félix Clément, Dictionnaire des opéras, supplément d’Arthur Pougin, 1903)
|
Dans la note du bon vieil opéra-comique, le livret de M. A. Carré repose tout entier sur un quiproquo savamment conduit jusqu'au dénouement, entre le roi Louis XII et Clément Marot, roi de la Basoche. Deux femmes, l'épouse du vrai roi et la femme clandestine de Clément Marot, prennent ce dernier pour Louis XII et il résulte de cette confusion toute sorte de situations plaisantes. Or donc, au premier acte, nous sommes devant l'hôtellerie du Plat d'Etain, où se réunit la Basoche. C'est un grand jour pour la docte corporation ; le jour où elle élit en grande pompe celui qui pendant un an portera le titre de roi et sera revêtu en cette qualité de diverses prérogatives, celle entre autres de battre une monnaie de plomb ayant un certain cours étroitement limité. C'est ce dernier privilège qui a poussé Clément Marot, le bon poète, à briguer la dignité royale ; car il est pauvre, très pauvre ! Cependant il devrait en bonne justice s'abstenir, car les statuts de la Basoche sont formels : le roi doit être célibataire, et Clément a conclu un mariage clandestin avec une jolie rustaude, Colette, qu'il cache à Chevreuse. L'aiguillon de la faim l'emporte sur la prudence, et le candidat croit pouvoir continuer à tenir son union secrète. Il compte sans la rancune d'un candidat évincé, Roland, et sans la naïveté de sa femme, qui ne sachant rien de ce qui se passe, débarque au Plat d'Etain peu après l'assemblée où chacun des prétendants a défendu sa candidature. Pendant que ces choses se passent à la Basoche, Paris se prépare à recevoir une nouvelle reine, Marie d'Angleterre, que Louis XII a épousée à Londres par procuration et que lui ramène le duc de Longueville. La reine et sa suite attendent aux portes de Paris l'heure de l'entrée solennelle dans la capitale, fixée au lendemain à midi. On a dépeint à la jeune et jolie épousée Louis XII (un quinquagénaire !) comme un beau cavalier et elle ne se tient pas d'impatience de voir son époux. Elle a même entraîné de force le duc dans une folle escapade : tous deux, travestis en campagnards, ils débarquent incognito au Plat d'Etain et y louent des chambres, se donnant pour mari et femme. Colette retrouve son Clément, qui est dans tous ses états et ne sait comment se tirer de ce mauvais pas. Il enjoint à sa femme de taire leur mariage, promettant pour plus tard des éclaircissements. Colette est navrée, mais elle obéit : il y va, lui a-t-on dit, du salut de son mari. Mais elle n'entend pas pour cela quitter la place, et s'engage au Plat d'Etain comme servante. C'est elle qui, en cette qualité, conduit à leurs appartements le duc de Longueville et Marie d'Angleterre. Mais quel est ce grand vacarme ? C'est la Basoche qui conduit son roi en grande pompe. Et Colette reconnaît dans ce personnage couronné et vêtu d'hermine, monté sur un beau palefroi... son mari ! Elle croit comprendre le mystère de tout à l'heure : si Clément lui a enjoint de se taire, c'est qu'il ne pouvait encore lui révéler sa véritable identité. Elle risque un instant de se trahir, et Roland a surpris son mouvement. Mais Clément la regarde, elle se ressaisit et Roland ne peut lui arracher son secret. Il veillera cependant et compte sur la nuit pour surprendre les époux en tête à tête. Mais Colette n'a pas été seule trompée. En entendant acclamer le roi, Marie d'Angleterre a mis la tête à la fenêtre, et vite, en voyant ce beau cavalier, elle s'est persuadée être en présence de son mari. Elle envoie Colette remettre à Clément un bouquet et un message, puis elle se présente elle-même et d'un petit air d'intelligence auquel il ne comprend goutte, elle lui dit : « A demain ! » Ce que voyant, la pauvre Colette meurt de jalousie. Le deuxième acte se déroule dans la grande salle du Plat d’Etain. C'est la nuit, les chandelles sont allumées. Les clercs de la Basoche festoient avec leurs amies, puis au couvre-feu se retirent. Colette poursuit son rêve : elle est la reine ! Mais son patron, Guillot, lui rappelle un peu rudement que provisoirement du moins elle est surtout servante. De lui elle apprend toutefois que Paris attend demain l'entrée d'une jeune reine, ce qui la suffoque de surprise, car elle ne doute pas un instant que cette reine, ce soit elle. Arrive Marie, qui la torture en lui confiant qu'elle est amoureuse du roi. Le duc paraît ensuite. Il est allé au palais pour confesser au roi son escapade. Marie le prie d'y retourner et d'inviter son époux à un petit souper clandestin. Le duc maugrée, mais il y va. On ne le recevra du reste pas, et pendant son absence, c'est Clément Marot qui se présente, Clément Marot venu pour retrouver Colette. Une brève explication entre les époux n'explique rien du tout — car il faut ménager le troisième acte — puis Marie entre et reconnaissant le faux roi, croit que son époux, averti de sa présence au Plat d'Etain, s'est soudain décidé à venir la retrouver. Le quiproquo s'enchevêtre, et bientôt Marie et Clément soupent en tête à tête, servis par Colette. On ne sait comment finirait ce jeu si le duc ne revenait en hâte. Comme il passe pour le mari, on fait filer Clément en sourdine malgré les protestations de Marie et dans l'explication qui s'ensuit entre le pauvre homme et sa prétendue femme, il stupéfie tout le monde par son cynisme et sa complaisance. Ne se déclare-t-il pas pleinement satisfait du moment que Marie lui dit avoir soupé avec le roi ? Arrivent dans la salle restée déserte Roland et ses amis, venus pour surprendre Clément avec Colette. Mais celle-ci a été avertie et s'est cachée. Il en résulte que les conspirateurs trouvent leur roi, non en compagnie légitime, mais en bonne fortune avec une inconnue. Ils sont floués, car pareille aventure ne contrevient en rien aux lois de la Basoche. Quant au duc, son rôle devient de plus en plus scandaleux : il a pour les débordements de sa soi-disante épouse, une indulgence qui frise l'inconscience. Seulement, l'affaire se corse : un écuyer vient de la part du roi — du vrai — chercher la reine pour la conduire au palais. Il a pour seul signalement que la reine se cache au Plat d'Etain sous un déguisement. Aussi quand Colette se présente et lui déclare qu'elle est la reine, n'hésite-t-il pas à la conduire à l'hôtel des Tournelles. C'est là, à la résidence royale, que se passe le troisième acte. Louis, qui n'a pas vu sa femme, n'éprouve aucune surprise lorsque se présente en cette qualité une jolie personne attifée d'ornements royaux. Colette, à vrai dire, met moins de complaisance à reconnaître en Louis XII son mari. Elle raconte en outre à ce dernier des choses qui lui donnent à penser que le duc de Longueville a abusé de sa confiance. Aussi le pauvre duc est-il fort mal reçu lorsqu'il se présente devant son maître. Il n'en croit pas ses oreilles lorsque Louis lui apprend que la reine s'est éprise de lui et qu'il lui permet de l'épouser ! Mais il est temps d'en finir avec les équivoques. La véritable reine va s'en charger. Elle arrive à son tour à l'hôtel des Tournelles, et se trouve bientôt nez à nez avec une autre reine. Colette, sa servante de la veille ! Louis XII passe un instant pour bigame... Heureusement que défile sous les fenêtres le cortège de la Basoche, venue rendre hommage au roi de France. Et les deux femmes apprennent à la fois que leur roi n'était qu'un roi de carnaval. Colette s'en console, car son Clément lui plaît autant comme cela ; Marie est moins contente, car Louis XII est certainement un époux moins désirable. Tout semble pourtant se gâter au dernier moment : pour assurer le silence sur cette équipée, Louis veut faire pendre Clément. Mais entre temps Clément a dû passer sa royauté à Roland, son mariage étant désormais de notoriété publique. Aussi quand on vient chercher le roi pour le pendre, c'est Roland qu'on emmène. Vous pensez bien qu'aucun meurtre n'assombrira cette légère fantaisie. Colette obtient par un aimable chantage la grâce de tout le monde : Clément Marot en sera quitte pour faire avec sa femme un petit voyage aux frais de la cassette ! (Edouard Combe, les Chefs-d’œuvre du répertoire, 1914)
|
L’action se passe sous Louis XII, le père du peuple, au moment où il vient d'épouser par procuration Marie d'Angleterre. On sait que la « Basoche » était une cour de justice privilégiée et autonome. Elle élisait pour un an un chef qualifié de roi. Sur une place publique, devant l'auberge du Plat d'Etain, la Basoche prélude à l'élection de son nouveau roi. Deux candidats se disputent les suffrages : un clerc, nommé Roland, et un poète, venu du Midi de la France, Clément Marot. L'élection du poète paraît assurée. Mais le règlement exige que les candidats soient célibataires. Clément Marot a décidé de cacher son mariage et laissé sa femme Colette à Chevreuse. Colette qui n'a pas vu son mari depuis quinze jours s'est mise en route pour le rejoindre. Devant l'auberge du Plat d'Etain, elle se trouve face à face avec Clément, qui feint de ne pas la reconnaître, tout en lui faisant comprendre qu'elle ne doit pas le contredire. Les partisans de Roland, concurrent de Marot, soupçonnent la vérité et se proposent de confondre le poète. Un ami dit à Colette que son mari viendra la voir à l'auberge, le soir même, et lui expliquera la situation. Colette, qui n'a pas d'argent, se fait engager comme servante par maître Guillot, aubergiste du Plat d'Etain. Marie d'Angleterre, avant de faire son entrée solennelle dans Paris, a voulu se donner une heure de liberté pour parcourir la capitale, en la compagnie du vieux duc de Longueville, l'ambassadeur de Louis XII, qui l'a épousée par procuration. Marie souhaite une rencontre romanesque avec le roi qu'elle imagine jeune et beau, d'après les dires de Longueville. Et, tout à coup, parmi les éclats de fanfares et les cris « vive le roi ! », apparaît Clément Marot, à cheval et couronné, le manteau royal des basochiens sur les épaules. La reine Marie l'aperçoit de la fenêtre et, le prenant pour le vrai roi, elle s'éprend passionnément du poète.
Au second acte, Clément Marot est venu donner à sa femme Colette les explications promises. Mais c'est Marie d'Angleterre qu'il rencontre et qui l'invite à souper. Colette, jalouse, mais presque résignée est obligée de les servir ! Elle croit, elle aussi, que Clément est le vrai roi et s'explique ainsi les allées et venues mystérieuses de son mari. Mais la reine invite le poète à l'accompagner à sa chambre. Sous un prétexte, Colette fait évader Clément. Et les partisans de Roland, venus pour surprendre Clément Marot avec sa femme, se trouvent en présence de Marie et du duc de Longueville qui la réclame comme son épouse. Aussitôt après leur départ, un écuyer arrive pour chercher la princesse de la part de Louis XII. Colette qui, de bonne foi, se prend pour la reine, se présente et c'est elle qui, à la place de Marie, va retrouver le roi au palais des Tournelles.
Au dernier acte, Colette raconte au roi ses mésaventures et Louis XII, furieux, croit avoir été trompé par le vieux duc de Longueville. Le roi annonce au courtisan qu'il répudie la princesse et la lui laisse pour compte, puisque celle-ci adore son compagnon de route ! Le vieux seigneur s'imagine qu'il est aimé et se retourne, galant, vers la reine. Mais celle-ci lui rit au nez. Enfin, les situations se dénouent. Marie d'Angleterre revient à son royal époux. Et Clément Marot, plutôt que de rester séparé plus longtemps de Colette, abdique la royauté basochienne. Son ambition n'est plus que d'écrire des poèmes et d'être aimé de la tendre Colette.
(programme de l’Opéra-Comique, 1929)
|
Prélude | |||
Acte I — Une place publique à Paris |
|||
01 | Introduction : Chœur, Chanson et Scène | C'est aujourd'hui que la Basoche... Je suis aymé de la plus belle | L'Eveillé, Clément, Roland, le Chancelier, Chœurs |
02 | Villanelle | Quand tu connaîtras Colette | Clément |
03 | Chœur, Air, Chanson, Quatuor et Ensemble | Midi ! | Colette, Jeunes Filles, L'Eveillé, Clément, Roland, Chœurs |
04 | Couplets | Dans ce grand Paris | L'Eveillé |
05 | Air | Mon escorte ? Mes gens ? | Marie |
05 | Duo (version 1900) | Vous reposer ? | Marie, le Duc |
06 | Couplets | Trop lourd est le poids du veuvage | le Duc |
07 | Final | Vive le Roi ! | Marie, Colette, L'Eveillé, Guillot, Clément, Roland, Chœurs |
Acte II — La grande salle de l'Hostellerie du Plat-d'Etain |
|||
08 | Introduction : Chœur et Pastourelle | A vous, à vous, belles maîtresses | Colette, Guillot, Roland, le Veilleur de nuit, Chœurs |
09 | Chœur et Duo | Fêtons cette journée | Marie, Colette, Chœurs |
10 | Duo | Ah ! Colette, c'est toi ? | Colette, Clément |
11 | Trio | A table, auprès de moi | Marie, Colette, Clément |
12 | Couplets | Eh ! que ne parliez-vous ? | le Duc |
13 | Final | Il faut agir adroitement | Marie, Colette, L'Eveillé, Guillot, Clément, Roland, Chœurs |
Acte III — Une salle à l'hôtel des Tournelles |
|||
Entr'acte : Passe-pied | |||
14 | Introduction : Chœur | Jour de liesse et de réjouissance | le Roi, l'Ecuyer, un Page, Chœurs |
15 | Couplets | En l'honneur de notre hyménée | Colette |
16 | Air | Elle m'aime ! Elle m'aime ! O cœur féminin ! | le Duc |
17 | Romance et Trio | Jamais ! j'aurais dû le comprendre | Marie, Colette, le Duc |
18 | Couplets | A ton amour simple et sincère | Clément |
19 | Final | Arrêtez ! | Marie, Colette, le Roi, Clément, le Duc, Chœurs |
LIVRET
l'Acte I lors de la création : le cortège du roi de la Basoche
|
Version originale (édition de juillet 1890)
Prélude
ACTE PREMIER
Une place publique de Paris en 1514, non loin du Grand-Châtelet. A droite l'hostellerie du Plat-d'Étain avec les armes de la Basoche sur son enseigne : Trois écritoires au champ d'azur, timbre, casque et morion, deux anges pour supports et ces mots : « GUILLOT, RÔTISSEUR DE LA BASOCHE. » A gauche, une fontaine flanquée de bornes.
SCÈNE PREMIÈRE CLERCS et BÉJAUNES, LE CHANCELIER, ROLAND, puis CLÉMENT MAROT et LÉVEILLÉ, puis LE GRAND-PRÉVÔT et sa suite, GUILLOT et JACQUET. (Les clercs arrivent gaiement en scène.)
LES CLERCS C'est aujourd'hui que la Basoche De son nouveau Roi fait le choix ; Ce roi doit être sans reproche, Erudit et brave à la fois. Pendant tout un an la couronne Sur sa tète resplendira, Et, jusques au prochain automne, Salut, honneur on lui rendra.
LE CHANCELIER Que chaque postulant s'approche Et nous fasse valoir ses droits.
LES CLERCS C'est aujourd'hui que la Basoche De son nouveau roi fait le choix.
LE CHANCELIER, un papier à la main. Deux candidats sont en présence, Tous les deux remplis d'éloquence Et de talent. L'un est Marot, l'autre est Roland.
LES CLERCS Cà, que chacun expose Et défende sa cause.
LE CHANCELIER A toi Roland !
TOUS
A toi Roland ! (Clément paraît au bras
de Léveillé.) ROLAND, montant sur une des bornes de la fontaine.
Je suis le plus savant et, pour me faire
élire, Car je connais, j'en fais serment, Le droit français et l'allemand, Le droit barbare Et, chose rare, Le droit romain, Prétorien, Régalien, Athénien, Draconien... (Murmures.)
LÉVEILLÉ, l'imitant. Egyptien, Béotien, En voilà bien Jusqu'à demain ! (On rit, brouhaha. Les partisans de Roland crient : Silence ! à l'eau l'interrupteur ! Les autres : Au gibet le pédant ! Le chancelier les fait taire.)
ROLAND, dédaigneux. Sans m'attarder à la réplique, Je m'en vais, des droits féodaux Vous réciter...
LÉVEILLÉ Tendons le dos !
ROLAND. Les noms, par ordre alphabétique : Droit d'abeille et d'abénevis,
D'arban, d'arsin et d'agatis... (Explosion
de murmures.) LÉVEILLÉ, lui jetant son bonnet à la tête. Que le bon Dieu te patafiole Avec les droits féodaux. (Clément éclate de rire.)
ROLAND, s'en prenant à Clément. Oyez ce faiseur de rondeaux Poète de la gaudriole.
LES PARTISANS DE CLÉMENT Sus au pédant !
LES PARTISANS DE ROLAND A bas Clément ! (Grand bruit, les partisans des deux candidats s'invectivent. Le chancelier cherche à les séparer. Les uns crient à Roland de continuer son discours ; les autres crient : « Non, non, il nous ennuie. »)
LE CHANCELIER Respect au règlement.
TOUS A toi Clément !
ROLAND Soit ! Je renonce à la parole. (Il descend, d'un air digne, de sa borne. Grand soupir de soulagement poussé par les clercs. Les amis de Roland l'entourent et le félicitent.)
CLÉMENT Oui, de rimes je fais moisson Et veux en guise de harangue, Vous dire ici ma dernière chanson. (Roland ricane.)
LE CHANCELIER, à Roland. Toi, cependant, surveille un peu ta langue.
CLÉMENT
Chanson (1)
(1) Chansons de Clément Marot. Livre II, chanson X (Ed. Lemerre, 1873).
Je suis aymé de la plus belle, Qui soit vivant' dessoubz les cieulx ; Encontre tous faulx envieux, Je la soustiendray estre telle.
Si Cupido, doulx et rebelle, N'avoit un bandeau sur les yeulx Et voyait son air gracieux, Je crois qu'amoureux seroit d'elle.
Vénus la déesse immortelle Tu as faict mon cueur bien heureux ; De l'avoir faict estre amoureux D'une si gente pastourelle.
Je suis aymé de la plus belle, Oui soit vivant' dessoubz les cieulx ! (On applaudit. On hue Roland.)
|
Version de la reprise de 1900 (édition du 08 juin 1921)
Prélude
ACTE PREMIER
Une place publique de Paris en 1514, non loin du Grand-Châtelet. A droite l'hostellerie du Plat-d'Étain, avec les armes de la Basoche sur son enseigne : Trois écritoires au champ d'azur, timbre, casque et morion, deux anges pour supports et ces mots : « GUILLOT RÔTISSEUR DE LA BASOCHE. » A gauche, une fontaine flanquée de bornes.
SCÈNE PREMIÈRE CLERCS et BÉJAUNES, LE CHANCELIER, ROLAND, puis CLÉMENT MAROT et LÉVEILLÉ, puis Le GRAND-PRÉVÔT et sa suite, GUILLOT et JACQUET. (Les clercs arrivent gaiement en scène.)
Introduction
LES CLERCS C'est aujourd'hui que la Basoche De son nouveau Roi fait le choix, Ce roi doit être sans reproche, Erudit et brave à la fois. Pendant tout un an la couronne Sur sa tête resplendira, Et, jusques au prochain automne, Salut, honneur on lui rendra.
LE CHANCELIER Que chaque postulant s'approche Et nous fasse valoir ses droits.
LES CLERCS C'est aujourd'hui que la Basoche De son nouveau roi fait le choix.
LE CHANCELIER, un papier à la main. Deux candidats sont en présence, Tous les deux remplis d'éloquence Et de talent. L'un est Marot, l'autre est Roland.
LES CLERCS Çà, que chacun expose Et défende sa cause.
LE CHANCELIER A toi, Roland !
TOUS A toi, Roland ! (Clément paraît au bras de Léveillé).
ROLAND, montant sur une des bornes de la fontaine. Je suis le plus savant et, pour me faire élire, Ce titre doit suffire, Car je connais, j'en fais serment, Le droit français et l'allemand. Le droit barbare Et, chose rare, Le droit romain, Prétorien, Régalien, Athénien, Draconien.... (Murmures.)
LÉVEILLÉ, l'imitant. Egyptien, Béotien, En voilà bien Jusqu'à demain ! (On rit, brouhaha. Les partisans de Roland crient : « Silence ! à l'eau l'interrupteur ! » Les autres : « Au gibet, le pédant ! » Le chancelier les fait taire.)
ROLAND, dédaigneux. Sans m'attarder à la réplique, Je m'en vais, des droits féodaux Vous réciter...
LÉVEILLÉ. Tendons le dos!
ROLAND Les noms, par ordre alphabétique : Droit d'abeille et d'abénevis, D'arban, d'arsin et d'agatis.... (Explosion de murmures.)
LÉVEILLÉ, lui jetant son bonnet à la tête. Que le bon Dieu te patafiole. Avec tes droits féodaux. (Clément éclate de rire.)
ROLAND, s'en prenant à Clément. Oyez ce faiseur de rondeaux Poète de la gaudriole.
LES PARTISANS DE CLÉMENT Sus au pédant !
LES PARTISANS DE ROLAND A bas Clément ! (Grand bruit, les partisans des deux candidats s'invectivent. Le chancelier cherche à les séparer. Les uns crient à Roland de continuer son discours ; les autres crient : « Non, non, il nous ennuie. »)
LE CHANCELIER Respect au règlement.
TOUS A toi, Clément !
ROLAND Soit ! Je renonce à la parole. (Il descend, d'un air digne, de sa borne. Grand soupir de soulagement poussé par les clercs. Les amis de Roland l'entourent et le félicitent.)
CLÉMENT Oui, de rimes je fais moisson Et veux en guise de harangue, Vous dire ici ma dernière chanson. (Roland ricane.)
LE CHANCELIER, à Roland. Toi, cependant, surveille un peu ta langue.
CLÉMENT
Chanson (1)
(1) Chansons de Clément Marot, livre II, chanson X. (Ed. Lemerre, 1873).
Je suis aymé de la plus belle, Qui soit vivant' dessoubz les cieulx. Encontre tous faulx envieux, Je la soustiendray estre telle.
Si Cupido, doulx et rebelle, N'avoit un bandeau sur les yeulx Et voyait son air gracieux, Je crois qu'amoureux seroit d'elle.
Vénus, la déesse immortelle, Tu as faict mon cueur bien heureux, De l'avoir faict estre amoureux D'une si gente pastourelle.
Je suis aymé de la plus belle, Qui soit vivant' dessoubz les cieulx ! (On applaudit. On hue Roland.)
|
|
LE CHANCELIER Dans une heure, au Chatelet, Pour le vote tout sera prêt. (Il sort avec les autres dignitaires.)
LES CLERCS
Dans une heure, au Châtelet, On verra Qui, du savant, l’emportera ; Ou bien, du rimeur de ballades.
LES UNS Vive Roland ! A bas Marot !
LES AUTRES A bas Roland ! Vive Marot ! (Ils se menacent. Une sonnerie de trompe les arrête. Les sergents de la Prévôté paraissent poussant devant eux le peuple qui crie : « Noël ! Noël ! » Ils séparent les clercs.)
LES SERGENTS DE LA PRÉVÔTÉ Suspendez votre discorde, Amis, ou gare à la corde. Place à messire le Prévôt !
(Le Grand-Prévôt paraît escorté de
sonneurs de troupe et d'archers.) LE PEUPLE, accourant de toutes parts. Place à messire le Prévôt ! (Maître Guillot et Jacquet son garçon paraissent sur le seuil du Plat-d'Étain. Sonnerie de trompe.)
LE GRAND-PRÉVÔT, déroulant une grande pancarte. « Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et du royaume de Naples, à tous présents et à venir, salut. (On se découvre.) Voulant donner à nos amés et féaux sujets une reine bonne et digne de notre peuple et assurer longue paix aux deux royaumes de France et d'Angleterre, faisons savoir que nous avons choisi comme épouse, noble demoiselle Marie, sœur de très haut et très puissant seigneur Henry, notre cousin, roi d'Angleterre. (Sonnerie de trompe.) Faisons savoir aussi que notre chère dame la reine fera son entrée dans Paris demain à l'heure de midi et voulons que ce soient pour tous, en ce jour, fêtes et réjouissances en l'honneur de cet heureux événement, car telle est notre volonté et bon plaisir. Signé : Louis. » (Il sort avec sa suite.)
LE PEUPLE, sortant derrière les archers. Noël !
GUILLOT En attendant l'heure de la bataille, Si l'on vidait une futaille En l'honneur de Roland, en l'honneur de Marot ?
LES CLERCS Bien dit, maître Guillot !
LES UNS Vive Roland !
LES AUTRES Vive Marot !
REPRISE DU CHŒUR C'est aujourd'hui que la Basoche De son nouveau Roi fait le choix, Ce roi doit être sans reproche, Erudit et brave à la fois. Pendant tout un an la couronne Sur sa tête resplendira, Et, jusques au prochain automne, Salut, honneur on lui rendra. (Ils entrent tous au Plat-d’Etain, excepté Clément, Léveillé et Guillot.)
SCÈNE II CLÉMENT MAROT, LÉVEILLÉ, MAÎTRE GUILLOT
Eh bien, maître Guillot, voilà de belles fêtes qui se préparent, élection annuelle et promenade du roi de la Basoche, entrée d'une jeune reine dans Paris. (Montrant l'hôtellerie.) Je gage que vous ne céderez pas une des chambres sous lesquelles défileront tous ces riches cortèges, à moins d'un écu d'or.
GUILLOT, se frottant les mains. Vous l'avez dit, maître Léveillé... (Avec un soupir.) Mais cela va faire bien de l'ouvrage aussi, et je n'ai pour m'aider que mon petit garçon Jacquet. Ah ! c'est aujourd'hui que je regrette ma pauvre défunte, si alerte, si vive et qui s'est tuée au travail.
LÉVEILLÉ Remariez-vous.
GUILLOT Epouser une fillette de seize ans quand on en a cinquante bien sonnés ? Que nenni ! Permis au roi Louis XII (Il se découvre.) que Dieu conserve, de faire semblable bê... folie, et encore.
LÉVEILLÉ Prenez une servante...
GUILLOT Une servante ? J'y songeais... (D'un air gourmand.) Une jeune servante, solide... et pas trop laide.
LÉVEILLÉ, riant. Ah ! ah !... Je vois que malgré vos cinquante ans bien sonnés... (Guillot se met à rire. On l'appelle à l'intérieur de l’hôtellerie en cognant sur les tables et en criant : Maître Guillot ! Maître Guillot !)
GUILLOT Mais on m'appelle. Vous m'excuserez, maître Léveillé (Il entre vivement au Plat-d’Étain.) On y va !
SCÈNE III
LÉVEILLÉ, à Clément Marot qui pendant la scène précédente est resté assis sur l'une des bornes de la fontaine, écrivant sur ses tablettes. Que griffonnes-tu là ? Des vers ?... (Riant.) Ou ton discours du trône ?
CLÉMENT Tu l'as dit.
LÉVEILLÉ, le saluant. Salut à Clément Marot, roi de la Basoche et prince de la sottise ! Peste ! Je ne te savais pas si ambitieux. Qu'est-ce qui peut te séduire si fort dans ce rôle de monarque pour rire ? Est-ce de porter dans nos cérémonies un manteau royal et une couronne pareille à celle du roi de France ? D'avoir une garde d'honneur sans cesse pendue à tes chausses ou d'être réveillé toutes les nuits par des aubades ?
CLÉMENT Hélas ! non, ce n'est point la vanité qui me guide.
LÉVEILLÉ Qu’est-ce donc ?
CLÉMENT, tristement. Le besoin.
LÉVEILLÉ Comment ?
CLÉMENT Tu oublies un des privilèges attachés au titre que j'ambitionne.
LÉVEILLÉ Celui ?
CLÉMENT De frapper monnaie.
LÉVEILLÉ, avec mépris. Peuh ! monnaie de Basoche, une monnaie en plomb !
CLÉMENT Ayant cours auprès des fournisseurs du Parlement, auprès du barbier, du papetier, (Montrant l'enseigne de Guillot avec un soupir.) du rôtisseur.
LÉVEILLÉ En es-tu là ?
CLÉMENT, frappant sur son gousset. J'en suis là...
LÉVEILLÉ Où donc passe tout l'argent que tu gagnes à recopier les grimoires de ton procureur ? Le jeu ?
CLÉMENT Fi !
LÉVEILLÉ Une maîtresse ?
CLÉMENT Mon cher Léveillé (Après avoir regardé autour de lui avec précaution.), je me suis marié...
LÉVEILLÉ, bas. Toi ?... Avec la gente pastourelle dont parle ta chanson ?
CLÉMENT Oui. Elle a nom Colette, et habite au bourg de Chevreuse avec sa mère, une brave paysanne, dont je suis aujourd'hui l'unique soutien.
LÉVEILLÉ Tu t'es marié, toi ?... un clerc de la Basoche ?
CLÉMENT Mon Dieu oui...
LÉVEILLÉ Mais, malheureux, tu as donc oublié que, pour faire partie de notre corporation, il faut être célibataire... célibataire... entends-tu ?.. sous peine de radiation... c'est inscrit en toutes lettres à l'article premier de nos statuts, et messieurs les clercs du Parlement ne plaisantent pas sur cet article-là !..
CLÉMENT Aucun danger. Colette ne quitte jamais Chevreuse, elle ne connaît ni ma profession, ni ma demeure, et je me prive momentanément du plaisir de l'aller voir, pour ne pas éveiller les soupçons.
LÉVEILLÉ Mais où l'as-tu connue ?... Comment l'idée t'est-elle venue de l'épouser ?...
CLÉMENT J'étais parti, un matin, à travers la campagne, à la poursuite d'une rime rebelle, et je me trouvais assez loin de Paris déjà, sur les terres de la baronnie de Chevreuse, quand je la rencontrai, et qu'un seul de ses regards embrasa tout mon être.
LÉVEILLÉ Parlez-moi des poètes pour aller vivement en besogne...
CLÉMENT
Quand tu connaîtras Colette, Ami, tu m'auras compris. C'est sa grâce mignonnette, Ses yeux, sa voix de fauvette, Son sourire qui m'ont pris. Ne t'en montre pas surpris. Quand tu connaîtras Colette, Ami, tu m'auras compris. Sa candeur, son air honnête, Achevèrent ma conquête ; Mon parti fut bientôt pris, Je la voulais à tout prix ! Quand tu connaîtras Colette, Ami, tu m'auras compris. Ce n'est pas d'une coquette, A qui l'on conte fleurette, D'une dame de Paris, Que mon cœur se sent épris. Quand tu connaîtras Colette, Ami tu m'auras compris.
|
LE CHANCELIER Dans une heure, au Châtelet, Pour le vote tout sera prêt. (Il sort avec les autres dignitaires.)
LES CLERCS
Dans une heure, au Châtelet On verra Qui, du savant l'emportera, Ou bien du rimeur de ballades.
LES UNS Vive Roland ! A bas Marot !
LES AUTRES A bas Roland ! Vive Marot ! (Ils se menacent. Une sonnerie de trompe les arrête. Les sergents de la Prévôté paraissent poussant devant eux le peuple qui crie : « Noël ! Noël ! » Ils séparent les clercs.)
LES SERGENTS DE LA PRÉVÔTÉ Suspendez votre discorde, Amis, ou gare à la corde. Place à messire le Prévôt ! (Le Grand-Prévôt paraît, escorté de sonneurs de trompe et d'archers.)
LE PEUPLE, accourant de toutes parts. Place à messire le Prévôt (Maître Guillot et Jacquet son garçon paraissent sur le seuil du Plat-d'Etain. Sonnerie de trompe.)
LE GRAND-PRÉVÔT, déroulant une grande pancarte. « Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et du royaume de Naples, à tous présents et à venir, salut. (On se découvre.) Voulant donner à nos amés et féaux sujets une reine bonne et digne de notre peuple et assurer longue paix aux deux royaumes de France et d'Angleterre, faisons savoir que nous avons choisi pour épouse, noble demoiselle Marie, sœur de très haut et très puissant seigneur Henry, notre cousin, roi d'Angleterre. (Sonnerie de trompe.) Faisons savoir aussi que notre chère dame la reine fera son entrée dans Paris demain à l'heure de midi et voulons que ce soit pour tous, en ce jour, fêtes et réjouissances en l'honneur de cet heureux événement, car telle est notre volonté et bon plaisir. Signé : Louis. » (Il sort avec sa suite.)
LE PEUPLE, sortant derrière les archers. Noël !
GUILLOT En attendant l'heure de la bataille, Si l'on vidait une futaille En l'honneur de Roland, en l'honneur de Marot ?
LES CLERCS Bien dit, maître Guillot !
LES UNS Vive Roland !
LES AUTRES Vive Marot !
REPRISE DU CHŒUR C'est aujourd'hui que la Basoche De son nouveau Roi fait le choix, Ce roi doit être sans reproche, Erudit et brave à la fois. Pendant tout un an la couronne Sur sa tête resplendira, Et, jusques au prochain automne, Salut, honneur on lui rendra. (Ils entrent tous au Plat-d'Étain, excepté Clément, Léveillé et Guillot.)
SCÈNE II
LÉVEILLÉ Eh bien, maître Guillot, voilà de belles fêtes qui se préparent, élection annuelle et promenade du roi de la Basoche, entrée d'une jeune reine dans Paris. (Montrant l'hôtellerie.) Je gage que vous ne céderez pas une des chambres sous lesquelles défileront tous ces riches cortèges, à moins d'un écu d'or.
GUILLOT, se frottant les mains. Vous l'avez dit, maître Léveillé... (Avec un soupir.) Mais cela va faire bien de l'ouvrage aussi, et je n'ai pour m'aider que mon petit garçon Jacquet. Ah ! c'est aujourd'hui que je regrette ma pauvre défunte, si alerte, si vive et qui s'est tuée au travail.
LÉVEILLÉ Remariez-vous.
GUILLOT Epouser une fillette de seize ans quand on en a cinquante bien sonnés ? Que nenni ! Permis au roi Louis XII (Il se découvre) que Dieu conserve, de faire semblable bê... folie, et encore...
LÉVEILLÉ Prenez une servante...
GUILLOT Une servante ? J'y songeais... (D'un air gourmand.) Une jeune servante, solide... et pas trop laide.
LÉVEILLÉ, riant. Ah ! ah !... Je vois que malgré vos cinquante ans bien sonnés... (Guillot se met à rire. On l'appelle à l'intérieur de l'hôtellerie en cognant sur les tables et en criant : Maître Guillot ! Maître Guillot !)
GUILLOT Mais on m'appelle. Vous m'excuserez, maître Léveillé (Il entre vivement au Plat-d'Étain.) On y va !
SCÈNE III
LÉVEILLÉ, à Clément Marot qui pendant la scène précédente est resté assis sur l'une des bornes de la fontaine, écrivant sur ses tablettes. Que griffonnes-tu là ? Des vers ?... (Riant.) Ou ton discours du trône ?
CLÉMENT Tu l'as dit.
LÉVEILLÉ, le saluant. Salut à Clément Marot, roi de la Basoche et prince de la sottise ! Peste ! Je ne te savais pas si ambitieux. Qu'est-ce qui peut te séduire si fort dans ce rôle de monarque pour rire ? Est-ce de porter dans nos cérémonies un manteau royal et une couronne pareille à celle du roi de France ? D'avoir une garde d'honneur sans cesse pendue à tes chausses ou d'être réveillé toutes les nuits par des aubades ?
CLÉMENT Hélas ! non, ce n'est point la vanité qui me guide.
LÉVEILLÉ Qu'est-ce donc ?
CLÉMENT, tristement. Le besoin.
LÉVEILLÉ Comment ?
CLÉMENT Tu oublies un des privilèges attachés au titre que j'ambitionne.
LÉVEILLÉ Celui ?
CLÉMENT De frapper monnaie.
LÉVEILLÉ, avec mépris. Peuh ! monnaie de Basoche, une monnaie en plomb !
CLÉMENT Ayant cours auprès des fournisseurs du Parlement, auprès du barbier, du papetier, (Montrant l'enseigne de Guillot avec un soupir.) du rôtisseur.
LÉVEILLÉ En es-tu là ?
CLÉMENT, frappant sur son gousset. J'en suis là...
LÉVEILLÉ Où donc passe tout l'argent que tu gagnes a recopier les grimoires de ton procureur ? Le jeu ?
CLÉMENT Fi !
LÉVEILLÉ Une maîtresse ?
CLÉMENT Mon cher Léveillé (Après avoir regardé autour de lui avec précaution), je me suis marié...
LÉVEILLÉ, bas. Toi ?... Avec la gente pastourelle dont parle ta chanson ?
CLÉMENT Oui. Elle a nom Colette, et habite au bourg de Chevreuse avec sa mère.
LÉVEILLÉ Tu t'es marié, toi ?... un clerc de la Basoche ?
CLÉMENT Mon Dieu, oui...
LÉVEILLÉ Mais, malheureux, tu as donc oublié que, pour faire partie de notre corporation, il faut être célibataire... célibataire... entends-tu ?... sous peine de radiation...
CLÉMENT Aucun danger. Colette ne quitte jamais Chevreuse, elle ne connaît ni ma profession, ni ma demeure, et je me prive momentanément du plaisir de l'aller voir, pour ne pas éveiller les soupçons.
LÉVEILLÉ Mais où l'as-tu connue ?... Comment l'idée t'est-elle venue de l'épouser ?...
CLÉMENT J'étais parti, un matin, à travers la campagne, à la poursuite d'une rime rebelle, et je me trouvais assez loin de Paris déjà, sur les terres de la baronne de Chevreuse, quand je la rencontrai, et qu'un seul de ses regards embrasa tout mon être.
LÉVEILLÉ Parlez-moi des poètes pour aller vivement en besogne...
CLÉMENT
Villanelle
Quand tu connaîtras Colette, Ami, tu m'auras compris. C'est sa grâce mignonnette, Ses yeux, sa voix de fauvette, Son sourire qui m'ont pris, Ne t'en montre pas surpris, Quand tu connaîtras Colette, Ami, tu m'auras compris. Sa candeur, son air honnête, Achevèrent ma conquête ; Mon parti fut bientôt pris, Je la voulais à tout prix ! Quand tu connaîtras Colette, Ami, tu m'auras compris. Ce n'est pas d'une coquette, A qui l'on conte fleurette, D'une dame de Paris, Que mon cœur se sent épris. Quand tu connaîtras Colette, Ami, tu m'auras compris.
|
|
GUILLOT, paraissant sur le seuil. Maître Clément Marot, vos amis vous demandent.
CLÉMENT Et que veulent-ils de moi ?
GUILLOT Une chanson.
LÉVEILLÉ Il faut leur obéir. Te voilà leur esclave. C'est ta royauté qui commence. (Il l'entraîne dans l'hôtellerie. Guillot sort derrière eux. Midi sonne à différents clochers de la ville.)
SCÈNE IV JEUNES FILLES, puis COLETTE. (Les jeunes filles arrivent de tous côtés portant des cruches sur leurs épaule, et se dirigent vers la fontaine.)
Midi (bis), C'est l'heure qui nous ramène Chaque jour à la fontaine, De notre bras arrondi,
Tenant la cruche qui penche, C'est l'heure qui nous ramène Chaque jour à la fontaine. (Elles se mettent à puiser de l'eau, tout en jasant.)
PREMIÈRE JEUNE FILLE Vous avez entendu ? Notre roi se marie.
DEUXIÈME JEUNE FILLE La reine, paraît-il, en grâces est fleurie.
PREMIÈRE JEUNE FILLE Aux portes de Paris, son cortège arrêté, Attend le bon plaisir d'un maître redouté.
DEUXIÈME JEUNE FILLE Qui n'est pas trop pressé de voir son épousée !
PREMIÈRE JEUNE FILLE Son ardeur, par le temps, se doit être apaisée. (Elles rient. Colette paraît en costume de paysanne et semble chercher quelqu'un.)
DEUXIÈME JEUNE FILLE Mais quel est ce tendron qui, de loin, nous regarde ?
PREMIÈRE JEUNE FILLE Elle n'est pas d'ici.
DEUXIÈME JEUNE FILLE C'est une campagnarde.
TOUTES, l'appelant. Holà, fillette, holà !... Qui donc demandez-vous ?...
COLETTE, avec une révérence. Maître Clément Marot, c’est monsieur mon époux... Le connaissez-vous point ?
PREMIÈRE JEUNE FILLE Son logis ?
COLETTE Je l'ignore
DEUXIÈME JEUNE FILLE Son état ?
COLETTE Je ne sais
TOUTES, riant. Ah ! bah !
COLETTE Je vous implore. Dites de quel côté je dois porter mes pas.
PREMIÈRE JEUNE FILLE Hélas, ton beau Clément, on ne le connaît pas. (D'un air moqueur.) Maître Clément est un volage Et son épouse est aux abois, La pauvrette tout bas enrage De n'avoir fait un meilleur choix
TOUTES Maître Clément est un volage Et son épouse est aux abois, La pauvrette tout bas enrage De n'avoir fait un meilleur choix. (Elle sortent en riant bruyamment et laissent Colette toute seule et très déconfite, au milieu de la place.)
SCÈNE V
COLETTE, seule. Air
Volage ? Lui ? Clément ? (Avec force.) Non ! non ! elle ment ! elle ment ! (Réfléchissant.) Et pourtant, au village Trois dimanches qu'il n'est venu !... Qu'est-ce donc qui l'a retenu ? (Pensive.) Volage ? Lui ! Clément ? Non ! non ! J'en suis sûre, elle ment. Que je suis lasse ! (Elle s'assied sur un banc devant l'hôtellerie.) De place en place, Suivant sa trace, J'ai tant marché, J'ai tant cherché ; Combien de rues, J'ai parcourues ! Que de chemin J'ai fait en vain ! Mais dans la foule, Qui va, qui roule, Pas un passant Compatissant ! Partout l'insulte, Et le tumulte, Du bruit, des cris, C'est là, Paris. Paris, Ville damnée Qui, mon époux m'a pris ! M'y voilà seule, abandonnée (Elle tombe à genoux.)
Prière
O mon patron, saint Nicolas, Ne me délaissez pas. Vierge Marie, Vous que je prie, Ramenez-moi mon doux Clément. Nous nous aimions si tendrement, Faites qu'il s'en souvienne Et me revienne. O mon patron, saint Nicolas, Ne me délaissez pas !
CLÉMENT, dans l'hôtellerie. Tu as, tout seul, Jan-Jan, vignes et prés (1) ; Tu as, tout seul, ton cœur et ta pécune Tu as, tout seul, deux logis diaprés Là où vivant ne prétend chose aucune ;
(1) Clément Marot. Livre III, Epigramme CCXXXVI.
COLETTE, se levant. C'est lui... Je ne me trompe pas !...
CLÉMENT Tu as, tout seul, le fruit de ta fortune ; Tu as, tout seul, ton boire et ton repas ; Tu as, tout seul, toutes choses fors une, C'est que, tout seul, ta femme tu n'as pas !
LES CLERCS C'est que, tout seul, ta femme tu n'as pas ! (On applaudit.)
COLETTE, avec transport.
C'est bien sa voix ! Vierge Marie, Il est là ! (Clément paraît donnant le bras à Léveillé.) Le voilà ! (Clément remonte la scène sans la voir. Il est suivi de Roland et des autres clercs.)
SCÈNE VI
COLETTE, allant à Clément. Bonjour, ami, c'est moi, Colette.
CLÉMENT, bas à Léveillé. O ciel ! Quel embarras !
COLETTE Pourquoi cette mine inquiète ? Allons, tendez vos bras, Et reconnaissez votre femme.
ROLAND, vivement. Sa femme ?
LÉVEILLÉ, à part. Patatras !
ROLAND, à Colette. Quoi, vous seriez ?
COLETTE Oui, sur mon âme, Je ne m'en cache pas.
[ ROLAND [ Les statuts de la Basoche [ Ordonnent le célibat ; [ Sur lui mon triomphe est proche [ S'il a forfait au contrat. [ [ LES CLERCS [ Les statuts de la Basoche [ Ordonnent le célibat [ Et le châtiment est proche [ S'il a forfait au contrat. [ [ COLETTE [ Ses yeux cachent un reproche [ Ne m'aime-t-il plus l'ingrat ? [ Il recule à mon approche. [ Ah ! je sens mon cœur qui bat. [ [ CLÉMENT [ Mon cœur qui n'est pas de roche, [ Soutient un cruel combat, [ Maudite soit la Basoche [ Et sa loi du célibat. [ [ LÉVEILLÉ [ Son cœur qui n'est pas de roche, [ Soutient un cruel combat, [ Maudite soit la Basoche [ Et sa loi du célibat.
ROLAND, à Clément. Que diras-tu pour ta défense ?
LES CLERCS Réponds sans embarras. (Clément hésite.)
LÉVEILLÉ Cette fillette est en démence ; Il ne la connaît pas. (Il cherche à entraîner les clercs.)
CLÉMENT, bas à Colette. Colette, il faut être clémente Mon honneur est en jeu. (Colette fond en larmes.) (Bas à Léveillé.) Vois, elle pleure et se lamente, Mieux vaut risquer l'aveu. (Léveillé l'empêche de parler.)
ROLAND, aux clerc. De son crime, il nous faut la preuve. (A Colette.) Point de mots superflus. (Lui montrant Clément.) Est-il votre époux ?
COLETTE, après avoir longuement regardé Clément, d'un air égaré. Je suis veuve. Et mon mari n'est plus. (Tristement.) J'en avais un naguère Et qui lui ressemblait, Je le croyais sincère, Aucun ne l'égalait. Hélas ! combien est brève La saison des amours. Il est fini le rêve Et fini pour toujours ! (Léveillé retient Clément prêt à s'élancer.)
[ CLÉMENT [ M'en voilà quitte, [ Mais non pas pour toujours, [ Car dans la suite [ Je crains pour mes amours. [ [ LÉVEILLÉ [ Le voilà quitte, [ Mais non pas pour toujours, [ Car dans la suite [ Je crains pour ses amours. [ [ ROLAND [ Je l'en tiens quitte, [ Mais non pas pour toujours, [ Car la petite [ Me dira ses amours. [ [ LES CLERCS [ Pauvre petite, [ Les noirs chagrins d’amours [ Ont mis en fuite [ Sa raison pour toujours. (Ils sortent lentement, en jetant sur Colette des regards de compassion. Roland sort le dernier. Au bout d'un instant, Léveillé reparaît, regarde derrière lui avec précaution et va à Colette, qui est allée tomber en pleurant sur une des bornes de la fontaine.)
SCÈNE VII
LÉVEILLÉ, à part. Elle pleure ! Pauvre enfant, elle me fait de la peine. (Appelant à mi-voix.) Colette !
COLETTE, relevant la tête. Que me voulez-vous ?
LÉVEILLÉ Je viens de la part de mon ami Clément Marot !
COLETTE, vivement. Ah !
LÉVEILLÉ Pour vous demander de lui pardonner, pour vous dire qu'il vous aime toujours, et que ce n'est pas sa faute si, tout à l'heure, il n'a pu vous reconnaître...
COLETTE Qu'est-ce donc qui l'en empêchait ?
LÉVEILLÉ De graves raisons... son avenir, son honneur, votre intérêt même. Il occupe à Paris, voyez-vous, une position qui le contraint à cacher, pour un temps, son mariage. Il ne pouvait pas vous expliquer ça devant tout le monde et ne s'attendait pas à vous trouver ici. Vous avez donc quitté Chevreuse ?...
COLETTE Ce matin... je ne pouvais plus y tenir... Songez, trois longues semaines que je ne l'avais vu !... Ma mère ne voulait pas me laisser partir... Aller à Paris, disait-elle, dans cet enfer ?... Mais je n'ai pas voulu la croire et je suis partie...
LÉVEILLÉ Toute seule ?...
COLETTE Toute seule à la recherche de mon mari, et j'étais si heureuse de l'avoir retrouvé. (Elle pleure.) Ah ! oui, c'est un enfer que votre Paris... et peuplé de méchantes gens qui se moquent de moi, m'insultent... ou me traitent de folle (Avec reproche.) comme vous, tout à l'heure.
LÉVEILLÉ C'était à cause des autres.
COLETTE C’est donc sérieux ?
LÉVEILLÉ Très sérieux... et il faut me jurer que, quoi qu'il arrive, vous ne le trahirez pas, vous ne direz plus que vous êtes sa femme... sa situation en dépend.
COLETTE Oh ! je vous le jure... Certes, je ne voudrais pas lui faire du tort... mais, au moins, ne le verrai-je pas ?
LÉVEILLÉ Si fait, si fait... tenez, ce soir, voulez-vous ?... Je me charge de vous l'envoyer.
COLETTE A Chevreuse ?
LÉVEILLÉ Non, pas si loin !... Il ne polluait s'absenter sans attirer l'attention... mais ici à l'hostellerie du Plat-d'Etain, par exemple… installez-vous et attendez en confiance, je vous réponds que vous le verrez.
COLETTE Ah ! que je vous remercie !
LÉVEILLÉ Vous l'aimez donc bien ?...
COLETTE Si je l'aime ! (Souriant.) Est-ce que ça ne se voit pas ?
LÉVEILLÉ Si, si… (A part.) Qu'elle est mignonne !
I Dans ce grand Paris Il faut, à tout prix, Vous garder des pièges ; On vous guettera, On vous tentera, Par des sortilèges ; Mais jurez, Colette, De rester discrète.
II Votre ami Clément, J'en fais le serment, Vous reste fidèle ; En secret ce soir, Il viendra vous voir, Son cœur vous appelle, Mais jurez, Colette, De rester discrète, L'ennemi, dans l'ombre, est là qui vous guette. Promettez, Colette, De rester muette.
Et maintenant je puis le rejoindre et le rassurer ?
COLETTE Oui, mais dites-lui bien surtout... (Elle s'arrête confuse.)
LÉVEILLÉ Quoi ?
COLETTE, se ravisant. Au fait, non. (Gaiement.) Je le lui dirai moi-même ce soir.
LÉVEILLÉ, à part. Elle est ravissante ! Ah ! si j’étais son mari, comme je me soucierais peu d'être roi de la Basoche ! (Il sort.)
SCÈNE VIII
COLETTE, seule, tirant une bourse de sa poche. J'ai songé, par bonheur, à prendre sur moi mon petit pécule. (Elle compte.) Douze, trente, trente-six, soixante-quatre sols... C'est plus qu'il ne m'en faut. (Elle fait aller le marteau de la porte de l'hôtellerie.)
GUILLOT, ouvrant. Que demandez-vous, la belle enfant ?
COLETTE Une chambre.
GUILLOT, la toisant. Une chambre ? Pour vous ?
COLETTE Oui-da ! et la plus belle que vous aurez...
GUILLOT Et combien pouvez-vous y mettre ?
COLETTE Mais jusqu'à vingt sols, s'il le faut.
GUILLOT Vingt sols ? Vous moquez-vous ?
COLETTE Mettons trente... (A part.) La moitié de ma fortune.
GUILLOT Une chambre aujourd'hui, au Plat-d'Étain, c'est un écu d'or, pas un denier de moins. Avez-vous la somme ?
COLETTE Hélas ! non.
GUILLOT Alors, bonsoir ! Allez chercher ailleurs votre gîte. (Il ferme la porte.)
COLETTE, seule. Un écu d'or ! C'est le prix du loyer de notre maison, à Chevreuse, pour l'année tout entière ! Je vois qu'il faudra nous contenter ici d'une simple soupente. (Elle frappe.)
GUILLOT, ouvrant. C'est encore vous ?
COLETTE Oui, j'ai réfléchi. J'ai eu tort de vous demander votre plus belle chambre... Mais vous avez bien un petit coin à me donner, là-haut, sous le toit.
GUILLOT, réfléchissant. Sous le toit ?... Oui, en effet, il me semble qu'il reste une chambrette.
COLETTE, vivement. Je la prends.
GUILLOT, brusquement. Impossible. Je la destine à une servante que je compte engager avant ce soir... (Il referme sa porte.)
COLETTE, seule. Vraiment, c'est peu de chance ! Il me faudra donc aller autre part. (Elle fait quelques pas.) Mais c'est au Plat-d'Étain et non ailleurs que Clément doit venir... (Elle frappe à diverses reprises.)
GUILLOT, ouvrant d'un air furieux. Comment ! Toujours ?... A-t-on idée d'un entêtement pareil ?
COLETTE Cette chambrette, m'avez-vous dit, doit être occupée par une servante ?
GUILLOT, impatienté. Oui. (Il veut s'échapper, elle le retient.)
COLETTE Que vous comptez engager avant ce soir ?
GUILLOT Oui. (Même jeu.)
COLETTE Donc vous ne l'avez pas encore ?
GUILLOT Non. (Même jeu.)
COLETTE Et il vous est indifférent que ce soit celle-ci plutôt que celle-là.
GUILLOT Tout à fait indifférent, mais...
COLETTE Eh bien ! permettez-moi de passer la nuit chez vous et je me charge de remplacer votre servante.
GUILLOT Vous ?... Toi ?...
COLETTE Sans qu'il vous en coûte rien.
GUILLOT, alléché. Sais-tu faire la cuisine au moins ?
COLETTE Certes...
GUILLOT, la tâtant. Bons bras ! Tu t'appelles ?
COLETTE Colette...
GUILLOT Soit, donc !... Il ne sera pas dit que j'aurai manqué aux devoirs de l'hospitalité. Tu vas commencer par laver la vaisselle.
COLETTE, gaiement. Ça me va…
GUILLOT Ensuite, tu balayeras les chambre...
COLETTE Avec plaisir...
GUILLOT, appelant. Holà ! Jacquet.
JACQUET, de l'intérieur. Qu'est-ce qu'il y a ?
GUILLOT C'est une servante qui nous arrive.
JACQUET Ah ! ce n'est pas malheureux !
GUILLOT, à Colette. Entre et monte l'escalier. (Elle entre.) (A part.) Elle est gentille. (Il sort derrière Colette.)
SCÈNE IX MARIE D'ANGLETERRE, LE DUC DE LONGUEVILLE, costumés en bourgeois normands.
Allons, Monsieur le duc de Longueville, un peu de courage. Voici une hôtellerie où vous pourrez vous reposer. (Elle examine les différents monuments que le duc lui nomme tout en parlant.)
LE DUC Majesté, croyez bien que ce n'est pas la fatigue... C'est le Grand-Châtelet... mais l'inquiétude qui me coupe ainsi bras et jambes, songez à ce qui m'arriverait... C'est Notre-Dame... si le roi Louis XII, mon maître, apprenait que sa nouvelle épouse... C'est la Tour de Justice... la noble princesse Marie d'Angleterre court les rues de Paris, seule et sans escorte.
MARIE
Mon escorte ? Mes gens ? Je les ai
plantés là, Ah ! l'amusante promenade ! La délicieuse escapade ! Quelle joie, oubliant grandeur et royauté, De courir devant soi, tout droit, en liberté ; Qu'une bourgeoise, en cette vie, A de bonheur ! Elle agit à sa fantaisie,
Au gré de son humeur. Ah ! oui j'envie Sa libre vie ! Pourquoi cet air railleur ? (Longueville sourit.) A la cage la mieux dorée, L'oiseau préférera toujours Des grands cieux la voûte azurée Et le bocage plein d'amours. Demain, je reprendrai ma chaîne ; Demain, hélas ! je serai reine, Enfermée en ma cage d'or : Une dernière fois, laissez-moi rire encor. Ah ! l'amusante promenade ! La délicieuse escapade ! Quelle joie, oubliant grandeur et royauté, De courir devant soi, tout droit, en liberté !
LE DUC, à part. Voilà ce que c'est que d'épouser une fillette de seize ans dont on pourrait être le père. (Haut.) Oui, je vous comprends, c'est de votre âge ; mais il se fait tard, nous allons nous en retourner.
MARIE Où cela ?
LE DUC Là-bas, aux portes de Paris, où nous attendent votre cortège et votre vieille gouvernante qui doit être en des angoisses...
MARIE A Pontoise ? Ah ! non, par exemple. D'ailleurs vous n'en pouvez plus. Nous allons entrer là, an Plat-d'Etain ; la maison me paraît convenable, nous y souperons, nous y passerons la nuit, et demain, à la première heure...
LE DUC Une reine de France à l'auberge ? Je ne puis y consentir. Songez à ma responsabilité. Que dira le roi ?
MARIE D'abord, il n'en saura rien... et puis c'est sa faute... S'il avait mis plus d'empressement à me recevoir, s'il ne m'avait pas condamnée à attendre tout un jour et toute une nuit, dans un affreux village, le plaisir de connaître Paris. jamais je n'aurais eu l'idée de venir m'y promener en cachette. Quel mal fais-je, après tout ? Ne suis-je pas sous la garde de mon mari ?
LE DUC Votre mari ?
MARIE C'est vous, puisque vous m'avez épousée.
LE DUC, vivement. Par procuration et à titre provisoire !
MARIE, riant. Ah ! j'espère bien que ce n'est pas pour tout de bon, et que mon véritable époux se montrera moins sévère et plus aimable. Dieu merci, il est jeune, lui, galant...
LE DUC, inquiet. Qui vous a dit ?
MARIE Mon frère.
LE DUC Sa majesté le roi Henri VIII ?...
MARIE Oui, je me révoltais à cette pensée d'épouser un inconnu... fût-il roi de France : « Vous avez tort, me dit-il alors, car c'est un jeune homme charmant. »
LE DUC Hum !
MARIE Quoi... hum ? M'aurait-il trompée ?
LE DUC, vivement. Non, non…
MARIE Comment est-il ? Brun ? Blond ?
LE DUC, embarrassé. Plutôt blond... d'un blond cendré.
MARIE Fier ? Courageux ? Beau cavalier ?
LE DUC, simplement. Il monte à cheval.
MARIE J'ai hâte de le connaître.
LE DUC, à part. Eh bien ! il a eu là une jolie idée, le roi Henri VIII.
MARIE Ah ! vous ne savez pas ? J'ai eu une peur, en vous voyant arriver !
LE DUC Pourquoi ?
MARIE Je vous prenais pour lui, pour mon mari. (Riant.) Vous jugez de ma surprise, on m'annonce un jeune homme et vous paraissez.
LE DUC, vexé. Oui, en effet, cela a dû…
MARIE Je ne savais pas que les rois, pour se marier, avaient recours à des ambassadeurs.
LE DUC C'est la coutume.
Couplets
I Trop lourd est le poids du veuvage, Je songe à me remarier, M'a dit le roi, selon l'usage, Ami, tu vas t'expatrier, Et, dans l'intérêt de ma race, Te rendre au pays d'outre-mer, Pour y prendre femme, à ma place, Dans l'église de Westminster. Pour obéir à l'étiquette, J'aurais été plus loin encor ; Rien ne m'arrête, Quand il s'agit de l'étiquette, Car l'étiquette, Voila mon fort !
II Admis, au nom du roi de France, Auprès de son cousin germain, Devant une noble assistance, Je pris votre main dans ma main, Au front je vous mis la couronne, A votre doigt l'anneau royal, Et je ne commis à personne Le soin du baiser nuptial. Pour obéir à l'étiquette, J'aurais été plus loin encor, Rien ne m'arrête, Quand il s'agit de l'étiquette, Car l'étiquette, Voilà mon fort ! (Marie fait aller le marteau de l'hôtellerie.) Eh bien, que faites-vous ?
|
GUILLOT, paraissant sur le seuil. Maître Clément Marot, vos amis vous demandent.
CLÉMENT Et que veulent-ils de moi ?
GUILLOT Une chanson.
LÉVEILLÉ Il faut leur obéir. Te voilà leur esclave. C'est ta royauté qui commence. (Il l'entraîne dans l'hôtellerie. Guillot sort derrière eux. Midi sonne à différents clochers de la ville.)
SCÈNE
IV (Les jeunes filles arrivent de tous côtés portant des cruches sur leurs épaules et se dirigent vers la fontaine.)
CHŒUR Midi (bis), C'est l'heure qui nous ramène Chaque jour à la fontaine, De notre bras arrondi,
Tenant la cruche qui penche, C'est l'heure qui nous ramène Chaque jour à la fontaine. (Elles se mettent à puiser de l'eau tout en jasant.)
PREMIÈRE JEUNE FILLE Vous avez entendu ? Notre roi se marie.
DEUXIÈME JEUNE FILLE La reine, paraît-il, en grâces est fleurie.
PREMIÈRE JEUNE FILLE Aux portes de Paris, son cortège arrêté, Attend le bon plaisir d'un maître redouté.
DEUXIÈME JEUNE FILLE Qui n'est pas trop pressé de voir son épousée !
PREMIÈRE JEUNE FILLE Son ardeur, par le temps, se doit être apaisée. (Elles rient. Colette paraît en costume de paysanne et semble chercher quelqu'un.)
DEUXIÈME JEUNE FILLE Mais quel est ce tendron qui, de loin, nous regarde ?
PREMIÈRE JEUNE FILLE Elle n'est pas d'ici.
DEUXIÈME JEUNE FILLE C'est une campagnarde.
TOUTES, l'appelant. Holà, fillette, holà !... Qui donc demandez-vous ?...
COLETTE, avec une révérence. Maître Clément Marot, c'est monsieur mon époux... Le connaissez-vous point ?
PREMIÈRE JEUNE FILLE Son logis ?
COLETTE Je l'ignore.
DEUXIÈME JEUNE FILLE Son état ?
COLETTE Je ne sais.
TOUTES, riant. Ah ! bah !
COLETTE Je vous implore. Dites de quel côté je dois porter mes pas.
PREMIÈRE JEUNE FILLE Hélas ! ton beau Clément, on ne le connaît pas. (D'un air moqueur.) Maître Clément est un volage Et son épouse est aux abois, La pauvrette tout bas enrage De n'avoir fait un meilleur choix.
TOUTES Maître Clément est un volage Et son épouse est aux abois, La pauvrette tout bas enrage De n'avoir fait un meilleur choix. (Elles sortent en riant bruyamment et laissent Colette toute seule et très déconfite, au milieu de la place.)
SCÈNE V
COLETTE, seule.
Air
Volage ? Lui ? Clément ? (Avec force.) Non ! non ! Elle ment ! Elle ment ! (Réfléchissant.) Et pourtant, au village Trois dimanches qu'il n'est venu !... Qu'est-ce donc qui l'a retenu ? (Pensive.) Volage ? Lui ? Clément ? Non ! non ! J'en suis sûre, elle ment, Que je suit lasse ! (Elle s'assied sur un banc devant l'hôtellerie.) De place en place, Suivant sa trace, J'ai tant marché, J'ai tant cherché ; Combien de rues J'ai parcourues ! Que de chemin J'ai fait en vain ! Mais dans la foule, Qui va, qui roule, Pas un passant Compatissant ! Partout l'insulte, Et le tumulte, Du bruit, des cris, C'est là Paris. Paris, Ville damnée Qui, mon époux m'a pris ! M'y voilà seule, abandonnée. (Elle tombe à genoux.)
Prière
O mon patron, saint Nicolas, Vierge Marie, Vous que je prie, Ramenez-moi mon doux Clément. Nous nous aimions si tendrement, Faites qu'il s'en souvienne Et me revienne.
O mon patron, saint Nicolas,
CLÉMENT, dans l'hôtellerie. Tu as, tout seul, Jan-Jan, vignes et prés (1) Tu as, tout seul, ton cœur et ta pétune, Tu as, tout seul, deux logis diaprés, Là où vivant ne prétend chose aucune ;
(1) Clément Marot, livre III, épigramme CCXXXVI.
COLETTE, se levant. C'est lui... Je ne me trompe pas !...
CLÉMENT Tu as, tout seul, le fruit de ta fortune Tu as, tout seul, ton boire et ton repas ; Tu as, tout seul, toutes choses, fors une C'est que, tout seul, ta femme tu n'as pas !
LES CLERCS C'est que, tout seul, ta lemme tu n'as pas ! (On applaudit.)
COLETTE, avec transport.
C'est bien sa voix ! Vierge Marie, Il est là ! (Clément paraît donnant le bras à Léveillé.) Le voilà ! (Clément remonte la scène sans la voir. Il est suivi de Roland et des autres clercs.)
SCÈNE VI COLETTE, CLÉMENT MAROT, LÉVEILLÉ, ROLAND, CLERCS et BÉJAUNES
COLETTE, allant à Clément. Bonjour, ami, c'est moi, Colette.
CLÉMENT, bas à Léveillé. O ciel ! Quel embarras !
COLETTE Pourquoi cette mine inquiète ? Allons, tendez vos bras, Et reconnaissez votre femme.
ROLAND, vivement, Sa femme ?
LÉVEILLÉ, à part. Patatras !
ROLAND, à Colette. Quoi, vous seriez ?
COLETTE Oui, sur mon âme, Je ne m'en cache pas.
[ ROLAND [ Les statuts de la Basoche [ Ordonnent le célibat ; [ Sur lui mon triomphe est proche [ S'il a forfait au contrat. [ [ LES CLERCS [ Les statuts de la Basoche [ Ordonnent le célibat [ Et le châtiment est proche [ S'il a forfait au contrat. [ [ COLETTE [ Ses yeux cachent un reproche [ Ne m'aime-t-il plus l'ingrat ? [ Il recule à mon approche [ Ah ! je sens mon cœur qui bat. [ [ CLÉMENT [ Mon cœur qui n'est pas de roche, [ Soutient un cruel combat, [ Maudite soit la Basoche [ Et sa loi du célibat. [ [ LÉVEILLÉ [ Son cœur qui n'est pas de roche, [ Soutient un cruel combat, [ Maudite soit la Basoche [ Et sa loi du célibat.
ROLAND, à Clément. Que diras-tu pour ta défense ?
LES CLERCS Réponds sans embarras. (Clément hésite.)
LÉVEILLÉ Cette fillette est en démence : Il ne la connaît pas. (Il cherche à entrainer les clercs.)
CLÉMENT, bas à Colette. Colette, il faut être clémente Mon honneur est en jeu. (Colette fond en larmes.) (Bas, à Léveillé.) Vois, elle pleure et se lamente, Mieux vaut risquer l'aveu. (Léveillé l'empêche de parler.)
ROLAND, aux clercs. De son crime, il nous faut la preuve. (A Colette.) Point de mots superflus. (Lui montrant Clément.) Est-il votre époux ?
COLETTE, après avoir longuement regardé Clément, d'un air égaré. Je suis veuve Et mon mari n'est plus. (Tristement.) J'en avais un naguère Et qui lui ressemblait, Je le croyais sincère, Aucun ne l'égalait. Hélas ! combien est brève La saison des amours. Il est fini le rêve Et fini pour toujours ! (Léveillé retient Clément prêt à s'élancer.)
[ CLÉMENT [ M'en voilà quitte, [ Mais non pas pour toujours, [ Car dans la suite [ Je crains pour mes amours. [ [ LÉVEILLÉ [ Le voilà quitte, [ Mais non pas pour toujours, [ Car dans la suite [ Je crains pour ses amours. [ [ ROLAND [ Je l'en tiens quitte, [ Mais non pas pour toujours, [ Car la petite [ Me dira ses amours. [ [ LES CLERCS [ Pauvre petite,
[ Les noirs chagrins d'amours [ Sa raison pour toujours. (Ils sortent lentement, en jetant sur Colette des regards de compassion. Roland sort le dernier. Au bout d'un instant Léveillé reparaît, regarde derrière lui avec précaution et va à Colette, qui est allée tomber en pleurant sur une des bornes de la fontaine.)
SCÈNE VII
LÉVEILLÉ, à part. Elle pleure ! Pauvre enfant, elle me fait de la peine. (Appelant à mi-voix.) Colette !
COLETTE, relevant la tête. Que me voulez-vous ?
LÉVEILLÉ Je viens de la part de mon ami Clément Marot.
COLETTE, vivement. Ah !
LÉVEILLÉ Pour vous demander de lui pardonner, pour vous dire qu'il vous aime toujours et que ce n'est pas sa faute si, tout à l'heure, il n'a pu vous reconnaître...
COLETTE Qu'est-ce donc qui l'en empêchait ?
LÉVEILLÉ De graves raisons... son avenir, son honneur, votre intérêt même. Il occupe à Paris, voyez-vous, une position qui le contraint à cacher, pour un temps, son mariage. Il ne pouvait pas vous expliquer ça devant tout le monde et ne s'attendait pas à vous trouver ici. Vous avez donc quitté Chevreuse ?
COLETTE Ce matin... Je ne pouvais plus y tenir... Songez, trois longues semaines que je ne l'avais vu !... Ma mère ne voulait pas me laisser partir... Aller à Paris, disait-elle, dans cet enfer ?... Mais je n'ai pas voulu la croire et je suis partie...
LÉVEILLÉ Toute seule ?
COLETTE Toute seule à la recherche de mon mari, et j'étais si heureuse de l'avoir retrouvé. (Elle pleure.) Ah ! oui, c'est un enfer que votre Paris... et peuplé de méchantes gens qui se moquent de moi, m'insultent... ou me traitent de folle (Avec reproche) comme vous, tout à l'heure.
LÉVEILLÉ C'était à cause des autres.
COLETTE C'est donc sérieux ?
LÉVEILLÉ Très sérieux... et il faut me jurer que, quoi qu'il arrive, vous ne le trahirez pas, vous ne direz plus que vous êtes sa femme...
COLETTE Oh ! je vous le jure... Certes, je ne voudrais pas lui faire du tort... mais, au moins, ne le verrai-je pas ?
LÉVEILLÉ Si fait, si fait... tenez, ce soir, voulez-vous ?... Je me charge de vous l'envoyer.
COLETTE A Chevreuse ?
LÉVEILLÉ Non, pas si loin !... Il ne pourrait s'absenter sans attirer l'attention... mais ici, à l'hôtellerie du Plat-d'Étain, par exemple... installez-vous et attendez en confiance, je vous réponds que vous le verrez.
COLETTE Ah ! que je vous remercie !
LÉVEILLÉ Vous l'aimez donc bien ?
COLETTE Si je l'aime ! (souriant.) Est-ce que ça ne se voit pas ?
LÉVEILLÉ Si, si... (A part.) Qu'elle est mignonne !
Couplets
I Dans ce grand Paris, Il faut, à tout prix, Vous garder des pièges ; On vous guettera, On vous tentera, Par des sortilèges, Mais jurez, Colette, De rester discrète.
II Votre ami Clément, J'en fais le serment, Vous reste fidèle ; En secret ce soir, Il viendra vous voir, Son cœur vous appelle, Mais jurez, Colette, De rester discrète, L'ennemi, dans l'ombre, est là qui vous guette. Promettez, Colette, De rester muette. (Il sort.)
SCÈNE VIII COLETTE, puis MAÎTRE GUILLOT
J'ai songé, par bonheur, à prendre sur moi mon petit pécule. (Elle compte.) Douze, trente, trente-six, soixante-quatre sols... C'est plus qu'il ne m'en faut. (Elle fait aller le marteau de la porte de l'hôtellerie.)
GUILLOT, ouvrant. Que demandez-vous, la belle enfant ?
COLETTE Une chambre.
GUILLOT, la toisant. Une chambre ? Pour vous ?
COLETTE Oui-da ! et la plus belle que vous aurez...
GUILLOT Une chambre aujourd'hui, au Plat-d'Étain, c'est un écu d'or, pas un denier de moins.
COLETTE, à part. Un écu d'or ! C'est le prix du loyer de notre maison, à Chevreuse, pour l'année tout entière !
GUILLOT Avez-vous la somme ?
COLETTE Hélas ! non.
GUILLOT Alors, bonsoir, allez chercher ailleurs votre gîte. (Il lui tourne le dos.)
COLETTE J'ai eu tort de vous demander votre plus belle chambre... Mais vous avez bien un petit coin à me donner, là-haut, sous le toit.
GUILLOT, réfléchissant. Sous le toit ?... Oui, en effet, il me semble qu'il reste une chambrette.
COLETTE, vivement. Je la prends.
GUILLOT, brusquement. Impossible. Je la destine à une servante que je compte engager ce soir... (Il referme sa porte.)
COLETTE, seule. Vraiment, c'est peu de chance ! Il me faudra donc aller autre part. (Elle fait quelques pas.) Mais c'est au Plat-d'Etain et non ailleurs que Clément doit venir... (Elle frappe à diverses reprises.)
GUILLOT, ouvrant d'un air furieux. Comment ! Encore ?... A-t-on idée d'un entêtement pareil ?
Cette chambrette, m'avez-vous dit, doit être occupée par une servante ?
GUILLOT, impatienté. Oui. (Il veut s'échapper, elle le retient.)
COLETTE Que vous comptez engager avant ce soir ?
GUILLOT Oui. (Même jeu.)
COLETTE Donc vous ne l'avez pas encore ?
GUILLOT Non. (Même jeu.)
COLETTE Eh bien ! permettez-moi de passer la nuit chez vous et je me charge de remplacer votre servante.
GUILLOT Vous ?... Toi ?...
COLETTE Sans qu'il vous en coûte rien.
GUILLOT, alléché. Sais-tu faire la cuisine au moins ?
COLETTE Certes...
GUILLOT, la tâtant. Bons bras ! Tu t'appelles ?
COLETTE Colette...
GUILLOT Soit, donc !... Il ne sera pas dit que j'aurai manqué aux devoirs de l'hospitalité. Tu vas commencer par laver la vaisselle.
COLETTE, gaiement. Ça me va..
GUILLOT Ensuite, tu balaieras les chambres...
COLETTE Avec plaisir...
GUILLOT, appelant. Holà ! Jacquet.
JACQUET, de l'intérieur. Qu'est-ce qu'il y a ?
GUILLOT C'est une servante qui nous arrive.
JACQUET Ah ! ce n'est pas malheureux !
GUILLOT, à Colette. Entre et monte l'escalier. (Elle entre.) (A part.) Elle est gentille. (Il sort derrière Colette.)
SCÈNE IX
Allons, Monsieur le duc de Longueville, un peu de courage. Voici une hôtellerie où vous pourrez vous reposer.
LE DUC Nous reposer ? c'est impossible, Altesse. Je vous avais promis De vous montrer Paris... Voilà Paris ! J ai tenu ma promesse. Repartons.
MARIE Rien ne presse !
LE DUC De ma faiblesse est-ce le prix ?
Venez ! Que dirait le roi Louis douze Exposée aux hasards, Sans suite, sans escorte...
MARIE Nous ne saurions attirer les regards Habillés de la sorte ! (Des clercs paraissent au fond du théâtre.)
LE DUC Ces jeunes gens, grands dieux ! Sur vous fixent les yeux...
MARIE D'une façon presque impolie ! Que disent-ils ?
LE DUC Ils vous trouvent jolie, Les insolents !
MARIE, à part. Ils sont galants. (Les clercs sortent.)
MARIE Alors, je suis jolie ?
LE DUC Sans doute !
MARIE Très jolie ?
LE DUC Palsambleu ! Très jolie ! Vous l'ignoriez ?
MARIE Je m'en doutais un peu, Mais là-bas, en Angleterre, A la cour du Roi, mon frère, On ne me l'avait jamais dit.
LE DUC L'étiquette l'interdit !
MARIE Lors, je me disais sans cesse : A quoi sert d'être princesse Pour vivre ainsi qu'au couvent ; Lors, je me disais souvent : Pour vivre ainsi sans jeunesse, A quoi sert d'être princesse ? Mais aujourd'hui tout va changer,
Déjà je respire un air plus léger, Je vais vivre enfin, je vais vivre, Agir selon ma volonté, En pleine liberté !
LE DUC
Mais vous vous trompez, Majesté
MARIE Il pourra le paraître, Mais, entre nous, je vous le dis tout bas, Il ne le sera pas !
LE DUC, à part. Voilà ce que c'est que d'épouser une fillette de seize ans dont on pourrait être le père. (Haut.) Mais il se fait tard, nous allons nous en retourner.
MARIE Où cela ?
LE DUC Là-bas, aux portes de Paris, où nous attendent votre cortège et votre vieille gouvernante qui doit être en des angoisses...
MARIE A Pontoise ? Ah ! non, par exemple. D'ailleurs vous n'en pouvez plus. Nous allons entrer là, au Plat-d'Etain ; la maison me parait convenable, nous y souperons, nous y passerons la nuit, et demain, à la première heure...
LE DUC Une reine de France à l'auberge ? Je ne puis y consentir. Songez à ma responsabilité. Que dira le roi ?
MARIE D'abord, il n'en saura rien... et puis c'est sa faute... S'il avait mis plus d'empressement à me recevoir, s'il ne m'avait pas condamnée à attendre tout un jour et toute une nuit, dans un affreux village, le plaisir de connaître Paris, jamais je n'aurais eu l'idée de venir me promener en cachette. Quel mal fais-je, après tout ? Ne suis-je pas sous la garde de mon mari ?
LE DUC Votre mari ?
MARIE C'est vous, puisque vous m'avez épousée.
LE DUC, vivement. Par procuration et à titre provisoire !
MARIE, riant. Ah ! j'espère bien que ce n'est pas pour tout de bon, et que mon véritable époux se montrera moins sévère et plus aimable. Dieu merci, il est jeune, lui, galant...
LE DUC, inquiet. Qui vous a dit ?
MARIE Mon frère.
LE DUC Sa Majesté le roi Henri VIII ?...
MARIE Oui, je me révoltais à cette pensée d'épouser un inconnu... fût-il roi de France : « Vous avez tort, me dit-il alors, car c'est un jeune homme charmant.
LE DUC Hum !
MARIE Quoi... hum ? M'aurait-il trompée ?
LE DUC, vivement. Non, non...
MARIE Comment est-il ? Brun ? Blond ?
LE DUC, embarrassé. Plutôt blond... d'un blond cendré.
MARIE Fier ? Courageux ? Beau cavalier ?
LE DUC, simplement. Il monte à cheval.
MARIE J'ai hâte de le connaître.
LE DUC, à part. Eh bien ! Il a eu là une jolie idée, le roi Henri VIII.
MARIE Ah ! vous ne savez pas ? j'ai eu une peur, en vous voyant arriver !
LE DUC Pourquoi ?
MARIE Je vous prenais pour lui, pour mon mari. (Riant.) Vous jugez de ma surprise, on m'annonce un jeune homme et vous paraissez.
LE DUC, vexé. Oui, en effet, cela a dû...
MARIE Je ne savais pas que les rois, pour se marier, avaient recours à des ambassadeurs.
LE DUC C'est la coutume.
Couplets
I Trop lourd est le poids du veuvage, Je songe à me remarier, M'a dit le roi, selon l'usage, Ami, tu vas t'expatrier, Et, dans l'intérêt de ma race, Te rendre au pays d'outre-mer, Pour y prendre femme, à ma place, Dans l'église de Westminster. Pour obéir à l'étiquette, J'aurais été plus loin encor ; Rien ne m'arrête, Quand il s'agit de l'étiquette, Car l'étiquette, Voilà mon fort !
II Admis, au nom du roi de France, Auprès de son cousin germain, Devant une noble assistance, Je pris votre main dans ma main, Au front je vous mis la couronne, A votre doigt l'anneau royal, Et je ne commis à personne Le soin du baiser nuptial. Pour obéir à l'étiquette, J'aurais été plus loin encor, Rien ne m'arrête, Quand il s'agit de l'étiquette, Car l'étiquette, Voilà mon fort ! (Marie fait aller le marteau de l'hôtellerie.) Eh bien, que faites-vous ?
|
|
MARIE Vous le voyez, je frappe à cette hôtellerie.
LE DUC Quoi, tout de bon, vous prétendez y passer la nuit ?
MARIE Tout de bon. (Elle frappe.)
LE DUC Allons, il faut bien vous obéir... mais promettez-moi, quoi qu'il arrive, de ne pas vous nommer, de garder sur votre rang, sur votre titre, un secret absolu.
MARIE Je vous le promets.
SCÈNE X
GUILLOT, ouvrant sa porte. Que désirez-vous ?
MARIE Un gîte pour… mon mari et pour moi.
GUILLOT, à part. Ce sont des gens de la province qui viennent pour les fêtes.
LE DUC, à part. S'il pouvait lui dire que son auberge est pleine... (Il fait des signes à Guillot.)
GUILLOT Alors, c'est une chambre qu'il vous faut. (Gestes désespérés du duc.) Non ?.. Ah ! je comprends. Deux chambres sans doute ?
MARIE Oui, deux chambres séparées...
GUILLOT, à part. Deux chambres pauvre petite ! (Se ravisant.) Au fait, j'y gagne, moi. (Haut.) J'ai votre affaire.
LE DUC, à part. L'animal !
GUILLOT Seulement ce sera cher.
LE DUC Ah ! alors... (A Marie.) Allons-nous en, c'est trop cher. (Il fait mine de s'en aller.)
MARIE Pour nous ? Vous voulez rire ?... Combien ?
GUILLOT, à part. Ils ont l'air cossu. (Haut.) Dix écus d'or... Ah ! dame, on n'a pas cette occasion tous les jours de voir de près une reine de France. Elle fera son entrée dans Paris demain, sur le coup de midi. Vos seigneuries pourront l'admirer à leur aise de leurs fenêtres... et, comme on la dit fort jolie, ce n'est pas trop demander, je crois, que dix écus, pour un pareil spectacle ?
MARIE Certes non. (Bas au duc.) Il est fort civil cet aubergiste.
GUILLOT Auprès d'elle chevauchera le duc de Longueville, celui qui est allé l'épouser en Angleterre au nom du roi. (Bas.) S'il n'y avait que lui, je vous cèderais mes chambres à moitié prix.
LE DUC Pourquoi donc ?
GUILLOT, riant. Parce qu'il est moins agréable à regarder, dit-on. (Marie éclate de rire.)
LE DUC, à part. Le butor !
MARIE Finissons, dix écus, c'est entendu... (Au duc.) Allons, payez. (Le duc paye vivement.)
GUILLOT, à part. Oh ! oh ! elle a l'air de le mener à la baguette... un mari qui fait chambre à part, c'est justice... (Complant l'argent que lui remet le duc.) Dix écus, le compte y est... (Appelant.) Colette !... C'est ma servante...
COLETTE, paraissant sur le seuil. Vous m'appelez, not' maitre. (Elle a un tablier et les manches retroussées.)
GUILLOT Tu te mettras aux ordres de madame. Donne-lui notre plus belle chambre, sur le devant.
COLETTE Si madame veut me suivre.
MARIE Venez-vous, monsieur le duc ? (Elle entre dans l'auberge avec Colette.)
GUILLOT, étonné. Le duc ?
LE DUC, vivement. Eu un mot, croyez bien, en un mot... Monsieur Leduc... comme Lebrun, Lecerf...
GUILLOT, à part, le regardant. Lecerf ? ça ne m'étonnerait pas. (Il entre dans l'auberge.)
LE DUC, sur le seuil. Je vous rejoins, chère amie, surtout ne sortez pas sans moi. (Seul.) Je n'ai qu'un moyen de mettre ma responsabilité à couvert, c'est d'aller avertir le roi de ce qui se passe. Je cours à l'hôtel des Tournelles.
LE PEUPLE, envahissant le théâtre. Noël ! Noël !...
LES SERGENTS, frappant avec leurs bâtons de bouleau. Place ! Place ! (On bouscule de Longueville.)
LE DUC Prenez donc garde.
UN SERGENT Place, on vous dit. (Il le pousse avec sa hallebarde.)
LE DUC, à part. Décidément ce costume manque de prestige. (Il disparaît dans la foule.)
SCÈNE XI CLÉMENT MAROT, LÉVEILLÉ, ROLAND, LES DIGNITAIRES, CLERCS et BÉJAUNES, LE PEUPLE, SERGENTS DE LA PRÉVÔTÉ, puis MARIE, GUILLOT, JACQUET et COLETTE (Les cloches sonnent à toute volée, les fanfares retentissent, le peuple crie : Noël ! Noël ! Des curieux paraissent à toutes les fenêtres de la place. Clément Marot fait son entrée, suivi d'un cortège composé de dignitaires et membres de la Basoche. Les clercs sont groupés par compagnies avec leurs couleurs et leurs étendards. Clément est sur un cheval, le front ceint d'un turban orné d'une couronne, un sceptre est dans sa main, un manteau royal sur ses épaules. En tête du cortège vont tambours, trompettes, fifres et hautbois.)
LES CLERCS ET LE PEUPLE Vive le roi ! En grande pompe il s'avance Et, d'un vrai roi, Il a, ma foi, La prestance, L'élégance,
Il tient fort bien son emploi. (Clément fait signe qu'il va parler.)
CLÉMENT, à cheval. A l'ombre de mon diadème, Ici, j'ordonne, ici je veux Que l'on s'amuse et que l'on s'aime, Telle est ma loi, tels sont mes vœux. Endossez vos habits de fête, Car c'est le règne d'un poète Qui va commencer en ce jour, Règne de plaisir et d'amour ! (Marie paraît à la fenêtre.)
LE CHŒUR Vive le roi ! Nous nous soumettrons à sa loi ! Vive le roi !
MARIE, à part. Le roi ! Disent-ils ? C'est le roi ! Mon époux ? Quelle fête ! Qui paraît devant moi ? En un instant, il a fait ma conquête. Mais comment lui parler ? (Appelant.) Holà, Colette ? (Elle disparaît de la fenêtre.)
GUILLOT, suivi de Jacquet qui porte un broc d'argent et des gobelets sur un plateau, s'avance vers Clément. De ce vieux vin Que l'on conserve au Plat-d'Etain, Il est d'usage Au nouveau roi, de faire hommage.
CLÉMENT, prenant un verre. Verse, Guillot, mon verre plein, Verse à la ronde et que chacun s'approche,
Nous allons boire, mes amis, Au protecteur de la Basoche !
TOUS
Au roi Louis ! (Clément descend de cheval. Guillot et Jacquet versent à boire. Marie et Colette sortent de l'hôtellerie. Colette a un bouquet à la main.)
MARIE Entends-tu comme on l'acclame ? Allons, Colette, obéis-moi...
COLETTE Jamais je n'oserai, madame, Parler au roi, Au roi de France !
MARIE Après une humble révérence, Tu lui remettras ce bouquet.
COLETTE. Ce bouquet ? J'en tremble d'avance !
MARIE Ensuite, avec un air discret, Tu lui diras : Une inconnue Demande à souhaiter la bienvenue A Votre Majesté. (La poussant en avant.) Point de timidité, Fais-toi faire place.
COLETTE, à un clerc. Lequel de vous est le roi ?
LE CLERC Le voici ! (Il désigne Clément qui tourne le dos.)
COLETTE Grand merci.
MARIE, bas. Courage !
COLETTE, à part. Son abord me glace ! (S'approchant de Clément.) Sire ! (Il se retourne, elle le reconnaît.) Ah ! Grands dieux ! qu'ai-je vu ? (Elle laisse tomber le bouquet.)
CLÉMENT, à part. Colette ! Tout est perdu !
COLETTE, à part, terrifiée. Il est roi ! Quel mystère ! Voilà donc son secret. Mais dans son intérêt On me l'a dit, je dois me taire.
[ CLÉMENT [ Saura-t-elle se taire [ Et garder le secret ? [ Je tremble à son aspect. [ Que ne suis-je à cent pieds sous terre. [ [ ROLAND [ Allons, la chose est claire [ Et je tiens son secret. [ Tout à l'heure il mentait [ En se disant célibataire. [ [ COLETTE [ Il est roi, quel mystère. [ Voilà donc son secret. [ Mais dans son intérêt [ On me l'a dit, je dois me taire. [ [ MARIE [ Ma pauvre messagère [ En l'approchant se tait. [ Et j'aurais bien mieux fait [ D'agir moi-même en cette affaire. [ [ LÉVEILLÉ [ Elle n'a pas su se taire, [ Et voilà le bouquet. [ Pour le coup c'est complet [ Et je ne sais plus comment faire ! [ [ LES CLERCS [ Quel est donc ce mystère ? [ Il a l'air stupéfait [ Et tremble à son aspect. [ La chose est extraordinaire.
CLÉMENT, se remettant. Quoi ! pauvre enfant, c'est encor vous ?
LÉVEILLÉ, bas à Colette. Du silence, Colette ! (Il ramasse le bouquet.)
ROLAND, à Colette. Parlez...
MARIE, à part. Elle reste muette ? A tout braver je me résous, (Elle s'avance hardiment vers Clément.) Sire, ce qui la rend inerte, En vous, ce qui la déconcerte, C'est l'aspect de la royauté.
CLÉMENT, riant. Pourquoi tant de timidité ? Je suis un homme comme un autre.
MARIE, vivement. Sire, quelle erreur est la vôtre !
Madrigal
I Quoi se dire un simple mortel Quand on est d'essence divine ? De la puissance l'on devine, En vous le signe originel, A cette démarche hautaine, A ce regard plein de fierté, Ce geste empreint de majesté ; Oui, voilà sans grande peine, A quoi En vous se reconnaît le roi.
CLÉMENT, à part. Elle se moque de moi.
MARIE II Si de la souveraineté Il nous fallait chercher le signe Dans un teint aux blancheurs de cygne, Dans la grâce, dans la beauté, Ou dans un charme de sirène, Dans un sourire triomphant, Des yeux malins, des pieds d'enfant, Bien plus vous seriez la reine, Que moi, Je ne saurais être le roi. (Il détache une fleur du bouquet et la lui donne.) (Il parle bas à Marie.)
ROLAND, à Colette. Voyez donc, la coquette Qui, par votre mari, se fait conter fleurette.
COLETTE Lui, mon mari ? Je ne sais pas Ce que vous voulez dire.
ROLAND Tantôt pourtant...
COLETTE Tantôt je voulais rire.
ROLAND, à part. Ah ! malgré toi, tu parleras !
MARIE, à Clément. A demain.
CLÉMENT, à part, voyant que Roland l'observe. Est-ce un piège ? (A Marie.) A demain. (Il lui baisa la main.)
ROLAND, bas à Colette. Voyez, il lui baise la main.
COLETTE, à part, réprimant un mouvement. Que saint Nicolas me protège !
(Marie rentre dans l'hôtellerie,
Clément remonte à cheval. Le cortège se forme.) ROLAND, à part. Il est à moi !
TOUS Vive le roi !
REPRISE DU CHŒUR Vive le roi ! En grande pompe il s'avance Et, d'un vrai roi, Il a, ma foi, La prestance, L'élégance. Il tient fort bien son emploi. Vive le roi ! (Marie, sur la fin du chœur, apparaît à la fenêtre agitant son mouchoir. Clément la salue. Colette reste dans son coin, en prière, ne s'occupant plus de ce qui se passe entour d'elle. Léveillé la cache à Roland, qui continue à observer. Les cloches sonnent.) Rideau.
|
MARIE Vous le voyez, je frappe à cette hôtellerie.
LE DUC Quoi, tout de bon, vous prétendez y passer la nuit ?
MARIE Tout de bon. (Elle frappe.)
LE DUC Allons, il faut bien vous obéir... mais promettez-moi de ne pas vous nommer, de garder sur votre rang, sur votre titre, un secret absolu.
MARIE Je vous le promets.
SCÈNE X
GUILLOT, ouvrant sa porte. Que désirez-vous ?
MARIE Un gîte pour... mon mari et pour moi.
GUILLOT, à part. Ce sont des gens de la province qui viennent pour les fêtes.
LE DUC, à part. S'il pouvait lui dire que son auberge est pleine... (Il fait des signes à Guillot.)
GUILLOT Alors, c'est une chambre qu'il vous faut. (Gestes désespérés du duc.) Non ?... Ah ! je comprends. Deux chambres sans doute ?
MARIE Oui, deux chambres séparées...
GUILLOT, à part. Deux chambres ! pauvre petite ! (se ravisant.) Au fait, j'y gagne, moi. (Haut.) J'ai votre affaire.
LE DUC, à part. L'animal !
GUILLOT Seulement ce sera cher.
LE DUC Ah ! alors... (A Marie.) Allons-nous-en, c'est trop cher. (Il fait mine de s'en aller.)
MARIE Pour nous ? Vous voulez rire ?.. Combien ?
GUILLOT, à part. Ils ont l'air cossu. (Haut.) Dix écus d'or... Ah ! dame, on n'a pas cette occasion tous les jours de voir de près une reine de France. Elle fera son entrée dans Paris demain, sur le coup de midi. Vos seigneuries pourront l'admirer à leur aise de leurs fenêtres... et, comme on la dit fort jolie, ce n'est pas trop demander, je crois, que dix écus, pour un pareil spectacle ?
MARIE Certes non. (Bas au duc.) Il est fort civil, cet aubergiste.
GUILLOT Auprès d'elle chevauchera le duc de Longueville, celui qui est allé l'épouser en Angleterre au nom du roi. (Bas.) S'il n'y avait que lui, je vous céderais mes chambres à moitié prix.
LE DUC Pourquoi donc ?
GUILLOT, riant. Parce qu'il est moins agréable à regarder, dit-on. (Marie éclate de rire.)
LE DUC, à part. Le butor.
MARIE Finissons, dix écus, c'est entendu... (Au duc.) Allons, payez. (Le duc paye vivement.)
GUILLOT, à part. Oh ! oh ! elle a l'air de le mener à la baguette... un mari qui fait chambre à part, c'est justice... (Comptant l'argent que lui remet le duc.) Dix écus, le compte y est... (Appelant.) Colette !... C'est ma servante...
COLETTE, paraissant sur le seuil Vous m'appelez, not' maître. (Elle a un tablier et les manches retroussées.)
GUILLOT Tu te mettras aux ordres de madame. Donne-lui notre plus belle chambre, sur le devant.
COLETTE Si madame veut me suivre.
MARIE Venez- vous, monsieur le duc ? (Elle entre dans l'auberge avec Colette.)
GUILLOT, étonné. Le duc ?
LE DUC, vivement. En un mot, croyez bien, en un mot... Monsieur Leduc... comme Lebrun, Lecerf...
GUILLOT, à part, le regardant. Lecerf ? Ça ne m'étonnerait pas. (Il entre dans l'auberge.)
LE DUC, sur le seuil. Je vous rejoins, chère amie, surtout ne sortez pas sans moi. (Seul.) Je n'ai qu'un moyen de mettre ma responsabilité à couvert, c'est d'aller avertir le roi de ce qui se passe. Je cours à l'hôtel des Tournelles.
LE PEUPLE, envahissant le théâtre. Noël ! Noël !...
LES SERGENTS, frappant avec leurs bâtons de bouleau. Place ! place ! (On bouscule de Longueville.)
LE DUC Prenez donc garde.
UN SERGENT Place, on vous dit. (Il pousse avec sa hallebarde.)
LE DUC, à part. Décidément ce costume manque de prestige. (Il disparaît dans la foule.)
SCÈNE XI CLÉMENT MAROT, LÉVEILLÉ, ROLAND, LES DIGNITAIRES, CLERCS et BÉJAUNES, LE PEUPLE, SERGENTS DE LA PRÉVÔTÉ, puis MARIE, GUILLOT, JACQUET et COLETTE. (Les cloches sonnent à toute volée, les fanfares retentissent, le peuple crie : « Noël ! Noël ! » Des curieux paraissent à toutes les fenêtres de la place. Clément Marot fait son entrée, suivi d'un cortège composé de dignitaires et membres de la basoche. Lee clercs sont groupés par compagnies avec leurs couleurs et leurs étendards. Clément est sur son cheval, le front ceint d'un turban orné d'une couronne, un sceptre est dans sa main, un manteau royal sur ses épaules. En tête du cortège vont tambours, trompettes, fifres et hautbois.)
Final
LES CLERCS ET LE PEUPLE Vive le roi ! En grande pompe il s'avance Et, d'un vrai roi, Il a, ma foi, La prestance, L'élégance. Il tient fort bien son emploi. Vive le roi ! (Clément fait signe qu'il va parler.)
CLÉMENT, à cheval. A l'ombre de mon diadème, Ici, j'ordonne, ici je veux Que l'on s'amuse et que l'on s'aime, Telle est ma loi, tels sont mes vœux. Endossez vos habits de fête, Car c'est le règne d'un poète Qui va commencer en ce jour, Règne de plaisir et d'amour ! (Marie paraît à la fenêtre.)
LE CHŒUR Vive le roi ! Nous nous soumettons à sa loi ! Vive le roi !
MARIE, à part. Le roi ! Disent-ils ? C'est le roi ! Mon époux ? Quelle fête ! Qui paraît devant moi ? En un instant, il a fait ma conquête. Mais comment lui parler ? (Appelant.) Holà, Colette ? (Elle disparaît de la fenêtre.)
GUILLOT, suivi de Jacquet qui porte un broc d'argent et des gobelets sur un plateau, s'avance vers Clément. De ce vieux vin Que l'on conserve au Plat-d'Etain, Il est d'usage, Au nouveau roi, de faire hommage.
CLÉMENT, prenant un verre. Verse, Guillot, mon verre plein,
Verse à la ronde et que chacun
s'approche, Au roi Louis, Au protecteur de la Basoche !
TOUS
Au roi Louis ! (Clément descend de cheval. Guillot et Jacquet versent à boire. Marie et Colette sortent de l'hôtellerie. Colette a un bouquet à la main.)
MARIE Entends-tu comme on l'acclame ? Allons, Colette, obéis-moi...
COLETTE Jamais je n'oserai, madame, Parler au roi, Au roi de France !
MARIE Après une humble révérence, Tu lui remettras ce bouquet.
COLETTE Ce bouquet ? J'en tremble d'avance !
MARIE Ensuite, avec un air discret, Tu lui diras : Une inconnue Demande à souhaiter la bienvenue A Votre Majesté. (La poussant en avant.) Point de timidité, Fais-toi faire place.
COLETTE, à un clerc. Lequel de vous est le roi ?
LE CLERC Le voici ! (Il désigne Clément qui tourne le dos.)
COLETTE Grand merci.
MARIE, bas. Courage !
COLETTE, à part. Son abord me glace ! (S'approchant de Clément.) Sire ! (Il se retourne, elle le reconnaît.) Ah ! grands dieux ! qu'ai-je vu ? (Elle laisse tomber le bouquet.)
CLÉMENT, à part. Colette ! Tout est perdu !
COLETTE, à part, terrifiée. Il est roi ! Quel mystère ! Voilà donc son secret. Mais dans son intérêt On me l'a dit, je dois me taire.
[ CLÉMENT [ Saura-t-elle se taire [ Et garder le secret ? [ Je tremble à son aspect. [ Que ne suis-je à cent pieds sous terre. [ [ ROLAND [ Allons, la chose est claire [ Et je tiens son secret. [ Tout à l'heure il mentait [ En se disant célibataire. [ [ COLETTE [ Il est roi, quel mystère. [ Voilà donc son secret. [ Mais dans son intérêt [ On me l'a dit, je dois me taire. [ [ MARIE [ Ma pauvre messagère [ En l'approchant se tait. [ Et j'aurais bien mieux fait [ D'agir moi-même en cette affaire. [ [ LÉVEILLÉ [ Elle n'a pas su se taire, [ Et voilà le bouquet. [ Pour le coup c'est complet [ Et je ne sais plus comment faire. [ [ LES CLERCS [ Quel est donc ce mystère ? [ Il a l'air stupéfait [ Et tremble à son aspect. [ La chose est extraordinaire
CLÉMENT, se remettant. Quoi ! pauvre enfant, c'est encor vous ?
LÉVEILLÉ, bas à Colette. Du silence, Colette ! (Il ramasse le bouquet.)
ROLAND, à Colette. Parlez...
MARIE, à part. Elle reste muette ? A tout braver je me résous. (Elle s'avance hardiment vers Clément.) Sire, ce qui la rend inerte, En vous, ce qui la déconcerte, C'est l'aspect de la royauté.
CLÉMENT, riant. Pourquoi tant de timidité ? Je suis un homme comme un autre.
MARIE, vivement. Sire, quelle erreur est la vôtre !
Madrigal
I Quoi ! se dire un simple mortel Quand on est d'essence divine De la puissance l'on devine En vous le signe originel, A cette démarche hautaine, A ce regard plein de fierté, Ce geste empreint de majesté ; Oui, voilà sans grande peine. A quoi En vous se reconnaît le roi.
CLÉMENT, à part. Elle se moque de moi.
MARIE II Si de la souveraineté Il nous fallait chercher le signe, Dans un teint aux blancheurs de cygne, Dans la grâce, dans la beauté, Ou dans un charme de sirène, Dans un sourire triomphant, Des yeux malins, des pieds d'enfant, Bien plus vous seriez la reine, Que moi, Je ne saurais être le roi. (Il détache une fleur du bouquet et la lui donne. Il parle bas a Marie.)
ROLAND, à Colette. Voyez donc la coquette Qui, par votre mari, se fait conter fleurette.
COLETTE Lui, mon mari ? Je ne sais pas Ce que vous voulez dire.
ROLAND Tantôt pourtant...
COLETTE Tantôt je voulais rire.
ROLAND, à part. Ah ! malgré toi, tu parleras !
MARIE, à Clément. A demain.
CLÉMENT, à part, voyant que Roland l'observe. Est-ce un piège ? (A Marie.) A demain. (Il lui baise la main.)
ROLAND, bas à Colette. Voyez, il lui baise la main.
COLETTE, à part, réprimant un mouvement. Que saint Nicolas me protège ! (Marie rentre dans l'hôtellerie, Clément remonte à cheval. Le cortège se ferme.)
ROLAND, à part. Il est à moi !
TOUS Vive le roi !
REPRISE DU CHŒUR Vive le roi ! En grande pompe il s'avance Et, d'un vrai roi, Il a, ma foi, La prestance, L'élégance. Il tient fort bien son emploi. Vive le roi ! (Marie, sur la fin du chœur, apparaît à la fenêtre agitant son mouchoir. Clément la salue. Colette reste dans son coin, en prière, ne s'occupant plus de ce qui se passe autour d'elle. Léveillé la cache à Roland, qui continue à observer. Les cloches sonnent.) Rideau.
|
scène XIV de l'Acte II lors de la création : le Duc de Longueville (Lucien Fugère) prenant Guillot au collet
Version originale (édition de juillet 1890)
ACTE DEUXIÈME
La grande salle de l'hôtellerie du Plat-d'Étain. Au fond, large baie vitrée donnant sur la place que l'on a vue au 1er acte. Porte ouvrant sur ladite place, portes à droite et à gauche. Une galerie de bois court, à la hauteur du premier étage, tout autour de la salle. Un escalier y conduit de la scène avec une large rampe. Grande cheminée à droite. En scène, tables, bancs, chaises, horloge à poids, buffets. Il fait nuit. Chandelles allumées.
SCÈNE PREMIÈRE ROLAND, LES CLERCS, GUILLOT, COLETTE, JACQUET, RIBAUDES. (Au lever du rideau, les clercs et leurs maîtresses sont attablés, en train de boire, servis par Guillot, Colette et Jacquet. D'autres dansent. Divertissement.)
Chœur
LES CLERCS A vous, belles maîtresses, Qui charmez nos instants, Nos plus chaudes caresses, Les fleurs de nos printemps ; Abeilles peu farouches, Vos baisers inconstants Récoltent sur nos bouches Le miel de nos vingt ans.
LES FILLES Donnez à vos maîtresses Quelques joyeux instants, Vos plus chaudes caresses, Les fleurs de vos printemps ; Abeilles peu farouches, Nos baisers inconstants Récoltent sur vos bouches Le miel de vos vingt ans.
COLETTE, servant à boire, à part. Quelle bruyante compagnie Chez nous, ce soir est réunie.
LES CLERCS Holà ! du vin ! à boire holà !
GUILLOT Colette, allons !
COLETTE Voilà ! Voilà !
ROLAND, l’arrêtant au passage. Eh quoi, c'est vous, dans cette auberge ?
COLETTE Pour vous servir.
ROLAND Vous feriez mieux, vraiment, De surveiller un peu
COLETTE Qui donc ?
ROLAND Votre Clément. (Bas, en l'observant.)
Chez mainte dame il se goberge Ainsi que dans leur cœur...
COLETTE Ah !
ROLAND, à part. Elle a tressailli.
COLETTE, se remettant. Que m'importe ? (Elle lui échappe.)
ROLAND, à part. Bien, fais la mijaurée. (A ses amis.) C'est sa femme. Il viendra la voir dans la soirée, Je le gage ; et tous deux nous les prendrons ici. (A part.) Je tiendrai mon rival enfin à ma merci !
LE VEILLEUR DE NUIT, au dehors. Il est neuf heures, Le temps est frais. Dans vos demeures Rentrez en paix. (Neuf heures sonnent.)
[ GUILLOT, à voix basse. [ Voici le guet qui passe, [ Il faut quitter la place ; [ Bonsoir, Messieurs bonsoir [ Et revenez me voir [ La nuit est très obscure [ Et la route peu sûre, [ Il est moins hasardeux [ De rentrer deux à deux. [ [ LES CLERCS, LES RIBAUDES, à voix basse. [ Voici le guet qui passe, [ Vite quittons la place ; [ Bonsoir, Guillot bonsoir [ Nous reviendrons te voir [ La nuit est très obscure [ Et la route peu sûre, [ Il est moins hasardeux [ De rentrer deux à deux. (Chaque clerc prend une fille sous son bras, et sort par le fond. La musique continue.)
GUILLOT (Parlé.) Toi, Colette, range un peu cette salle, tandis que je vais mettre les volets avec Jacquet ; ensuite tu prépareras le souper de nos hôtes. (Il sort, par le fond, avec Jacquet ; on les voit, au dehors, pousser les volets.)
SCÈNE II
COLETTE, seule. (Elle range sur les tables, et sort d'un buffet une nappe, des serviette, et des assiettes à fleurs qu'elle essuie.)
Pastourelle
I Il était un' fois un' bergère Oui gardait, sur le bord de l'eau, Son blanc troupeau dans la fougère. Il était un roi jeune et beau. Un jour qu'ell' mirait son visage, Qui se r'flétait dans le ruisseau, Près de la sienne, une autre image Parut : celle du jouvenceau. Ça s' passait en ces temps prospères Où les rois Prenaient pour femmes les bergères, Autrefois.
II (1)
(1) Peut se couper à la représentation.
Le lendemain, dans le bailliage, Jeunes et vieux, grands et petits, Pour célébrer un mariage, Avaient mis leurs plus fins habits. L'épouse était notre bergère ; L'époux, notre roi jeune et beau, Pour qui, dans l’ fond de l'eau légère, L'amour alluma son flambeau.
Ça s' passait en ces temps prospères Prenaient pour femmes les bergères, Autrefois.
(Parlé.) Cette légende, c'est la mienne : la bergère, c'est moi ; le roi jeune et beau, c'est Clément... ou plutôt Sa Majesté Louis XII, roi de France ! Voilà donc cette haute situation, dont me parlait son ami et qui l'oblige à cacher son mariage... Je comprends, il ne peut pas me présenter à tous ces ducs et ces barons qui l'entourent, en leur disant : « Voilà ma femme, Colette, une pauvre petite paysanne qui ne sait ni lire ni écrire… » Non, non, je me tairai, je l'ai promis ; il restera pour moi ce qu'il était : Clément... et nous continuerons à nous voir en secret, comme ce soir... car il va venir... Ah ! je tremble à l'idée de me trouver en face de lui... c'est que je ne vais plus oser l'embrasser... un roi ! (Elle reste rêveuse.)
SCÈNE III COLETTE, GUILLOT
GUILLOT, venant du fond et fermant la porte intérieurement. Eh bien ! c'est ainsi que tu travailles ? Le couvert n'est pas mis ? A quoi penses-tu, fainéante ?
COLETTE, à part. Fainéante ?... S'il savait à qui il parle ! (Haut.) Ne vous fâchez pas, maître Guillot, ce sera bientôt fait. (Elle met le couvert, aidée par Guillot.)
GUILLOT Ah ! c'est qu'il faudra se trémousser. Nous allons en avoir un monde demain !
COLETTE Pourquoi donc ?
GUILLOT Parce que c'est demain, à midi, que la jeune reine fera son entrée dans Paris.
COLETTE, dressant l'oreille. La jeune reine ?
GUILLOT Oui. Le roi s'est marié depuis peu.
COLETTE, à part. On le sait donc ?
GUILLOT Et c'est demain qu'il fera connaître à tous sa femme.
COLETTE Demain ?
GUILLOT Qu'il la présentera à sa cour.
COLETTE A sa cour ?
GUILLOT Et qu'il la fera asseoir, à ses côtés, sur le trône de France !
COLETTE, tombant sur une chaise. Il la fera asseoir !
GUILLOT Qu'est-ce que tu as ?
COLETTE, se remettant. Rien, rien... Et cette jeune reine, la connaît-on ?
GUILLOT Pas encore. Elle est là-bas, quelque part, dans un petit village des environs de Paris.
COLETTE, à part. C'est bien cela. (Haut.) A Chevreuse.
GUILLOT Chevreuse ? Non, je croyais... Pontoise.
COLETTE, avec assurance. Non, non, Chevreuse.
GUILLOT Au fait, tu as peut-être raison... A Chevreuse, où elle attend le bon plaisir de son seigneur et maître.
COLETTE Et que pense-t-on de ce mariage ?
GUILLOT Mais tout le monde en est enchanté, moi tout le premier, parce que, tu comprends, une reine c'est bon, compatissant au pauvre peuple.
COLETTE, avec émotion. Oh ! oui, elle le sera... et si jamais, mon brave monsieur Guillot, je puis faire quelque chose pour vous... (Elle lui prend les mains.)
GUILLOT, éclatant de rire. Toi ?
COLETTE Oui... (Balbutiant.) Je veux dire que vous êtes un bon maître... et que je vous servirai bien.
GUILLOT J'y compte, Colette... Tu ne me coûtes rien, c'est vrai.
COLETTE C'est moi qui l'ai voulu.
GUILLOT, noblement. Mais cela ne m'empêchera pas de te savoir gré de tes services, tout comme si je les payais. (Marie paraît sur l'escalier.)
SCÈNE IV
Vous n'avez pas revu... mon mari ?
GUILLOT Non, madame.
MARIE, à part. Que peut-il être devenu ? (Haut.) Dès qu'il paraîtra, vous pourrez servir.
GUILLOT Tu entends, Colette. (Il sort à gauche, deuxième plan.)
SCÈNE V MARIE, COLETTE, LES CLERCS, au dehors.
COLETTE (Parlé.) Servir cette femme ! cette bourgeoise ! Enfin, patientons. (Elle continue à préparer la table.)
LES CLERCS, dans le lointain. Fêtons cette journée Qui bientôt va finir ; Tout le long de l'année, Gardons son souvenir.
Duetto
MARIE, répétant, d'un air rêveur, le madrigal du premier acte, en respirant la fleur que lui a donnée Clément. Si, de la souveraineté, Il nous fallait chercher le signe Dans un teint aux blancheurs de cygne, Dans la grâce, dans la beauté... (S'interrompant.) Quelle galanterie ! Ah ! que les hommes sont moqueurs ! Comme un brin de coquetterie A vite raison de leurs cœurs ! (Elle marche avec agitation.)
COLETTE Qu’avez-vous ?
MARIE La fièvre m'oppresse, Une langueur enchanteresse, Comme la nuit succède au jour, Remplace brusquement mon rire par des larmes.
COLETTE, riant. Je reconnais le mal qui cause vos alarmes : C'est l'amour.
MARIE De l'amour, Oui, c'est le signe, Ce trouble ravissant qui cause mon effroi. (Avec éclat.) J'aime !
COLETTE Et qui donc ?
MARIE Le roi.
COLETTE, avec un mouvement. Le roi ?
MARIE En est-il un plus digne ?
COLETTE A peine l'avez-vous entrevu ce matin.
MARIE Un seul regard suffit à fixer mon destin, Tout me plaît et m'enchante, Tout me séduit en lui, Autour de moi tout chante Et sourit aujourd'hui. C'est l'amour, douce flamme, Qui pénètre en mon cœur, Et qui remplit mon âme De joie et de bonheur !
[ COLETTE, à part. [ Et c'est à moi qu'elle vient faire [ Un tel aveu ? [ La confondre serait un jeu, [ Mais de me taire, [ J'ai fait le vœu. [ [ MARIE, à part. [ Si de mon nom je pouvais faire [ Ici l'aveu, [ Elle serait surprise un peu, [ Mais de me taire, [ J'ai fait le vœu.
COLETTE, d'un air pincé. Votre cœur, vraiment, Prend feu bien rapidement.
MARIE Chacune doit, bourgeoise ou bachelette, Aimer son roi.
COLETTE Puisqu'il en est ainsi, Sachez-le donc, je l'aime aussi.
MARIE, éclatant de rire. Qui ? toi, Colette ?
COLETTE Vous riez ?
MARIE, riant toujours. Eh ! crois-tu Que jamais un roi se vante De triompher de la vertu D'une servante ?
COLETTE, vexée, avec une révérence. Sauf le respect que je vous dois, Si je sais compter sur mes doigts, Ma conquête vaut bien celle d'une bourgeoise.
MARIE Holà ! vas-tu me chercher noise ?
[ COLETTE, à part. [ Et c'est à moi qu'elle vient faire [ Un tel aveu ? [ La confondre serait un jeu, [ Mais de me taire, [ J'ai fait le vœu. [ [ MARIE, à part. [ Si de mon nom je pouvais faire [ Ici l'aveu, [ Elle serait surprise un peu, [ Mais de me taire, [ J'ai fait le vœu.
SCÈNE VI GUILLOT, entrant. Madame, je vous annonce votre mari.
LE DUC, entrant. Me voilà… ouf ! (Il s'essuie le front.)
MARIE Ah ! c'est vous, enfin ?
GUILLOT Toi, Colette, à la cuisine, et activons le repas de nos hôtes. (Il sort avec Colette à gauche, deuxième plan.)
SCÈNE VII
MARIE, assise près de la cheminée. Eh ! d'où venez-vous à cette heure, mon cher duc ? J'allais souper sans vous.
LE DUC Vous voulez le savoir ?... Eh bien, j'ai été à l'hôtel des Tournelles, chez le roi.
MARIE Chez mon mari ! Pour quoi faire ?
LE DUC Pour lui raconter votre escapade, lui faire connaître votre présence dans Paris.
MARIE Vous lui avez dit que j'étais ici, près de lui... et il n'a pas témoigné le désir de me voir ?... Il n'a pas eu la curiosité de vous accompagner pour connaître sa femme ?
LE DUC Y songez-vous ?... L'étiquette !...
MARIE L'étiquette ! Est-ce que ça compte à son âge !
LE DUC, à part. Elle y tient... Il faudra pourtant bien lui avouer…
MARIE, se levant. Vous allez retourner auprès de lui... tout de suite... et l'inviter, en mon nom, à venir partager notre souper.
LE DUC, ahuri. Notre souper ?... jamais il n'y consentira.
MARIE, souriant. Vous croyez ?... Dites-lui seulement que c'est à l'hôtellerie du Plat-d’Etain que je demeure, sous ce simple costume... Remettez-lui de ma part cette fleur... (Elle lui donne la fleur de Clément qu'elle a à son corsage.) et je vous réponds qu'il viendra.
LE DUC, à part. Si jamais on m'y reprend !...
MARIE Obéissez, mon cher duc... (Le câlinant.) Ce sera si gentil, ce petit repas de fiançailles, à nous trois, en attendant les ennuyeuses formalités de demain... Allez, allez donc !
LE DUC C'est que, vous l'avouerai-je, Majesté, je tombe de sommeil. Se lever à six heures du matin, trotter tout un jour sur le pavé de Paris... c'est pénible.
MARIE, gentiment. Vous dormirez après souper... allez vite. (Souriant.) Je suis insupportable, n'est-ce pas ?
LE DUC Oh ! oui !
MARIE Vous dites ?
LE DUC, vivement. Je ne dis rien.
MARIE J'ai très bien entendu. Vous avez fait : oh ! oui !
LE DUC Excusez-moi... j'ai baillé... (Il bâille.) oh ! oui !... la fatigue... Pardon.
MARIE, riant. Ah ! très bien.
SCÈNE VIII
COLETTE, venant de gauche. Leurs seigneuries sont servies.
LE DUC, prenant son manteau et son chapeau. Plus tard.
MARIE, au duc. Hâtez-vous.
LE DUC J’y cours, Maj…
MARIE Hum !
LE DUC Ma j...olie petite femme, j'y cours. (Il sort a gauche.)
SCÈNE IX
COLETTE Madame va donc souper toute seule ?
MARIE. Plus tard, on te dit. (A part.) Je ne puis le recevoir ainsi... (A Colette.) Viens m'aider à rajuster cette coiffure... Ou plutôt, non, demeure et, dès qu'il paraîtra, préviens-moi.
COLETTE Dès qu'il paraîtra ? Qui ?
MARIE Le roi. (Elle remonte chez elle.)
SCÈNE X COLETTE seule, puis CLÉMENT
Le roi ? Comment sait-elle qu'il doit venir ? Qui donc nous a trahis ? (On frappe à la porte du fond.) Ah !... C'est lui. (S'appuyant sur la table.) Eh bien, est-ce qu'il va me faire peur à présent ? Ouvrons. (Elle va ouvrir la porte. Clément entre très mystérieusement.)
Duo
CLÉMENT Ah ! Colette, c'est toi ? Vite, ferme la porte. A mes pas attachée, une garde d'honneur, Partout me fait escorte : Près d'ici, par bonheur, Elle a perdu ma trace. (Il revient à Colette.) Viens ça que je t'embrasse.
COLETTE, tombant à ses pieds. Sire !
CLÉMENT Comment ? A genoux devant moi ? Y penses-tu ?
COLETTE N'êtes-vous pas le roi ?
CLÉMENT Le roi, c’est vrai, cela t’étonne ?
COLETTE Un peu.
CLÉMENT Pas plus que moi. (Colette le regarde avec étonnement.) Mais soyons sérieux. Écoute, nul ne doit me savoir en ces lieux.
COLETTE, avec un reproche. Quelqu'un vous attendait pourtant. (Clément la regarde avec étonnement.) Cette personne, A laquelle, tantôt, vous fîtes les doux yeux.
CLÉMENT C'était pour mieux donner le change, Et mieux cacher notre secret.
COLETTE Elle est folle de vous.
CLÉMENT. De moi ? C'est bien étrange. Je ne la connais point.
COLETTE, piquée. Vous faites le discret.
CLÉMENT Eh quoi, méchante, une querelle !
COLETTE, tombant dans ses bras. Ah ! ne me trahis pas pour elle !
CLÉMENT Pour la première fois, je la vis ce matin. Va, ton Clément n'est pas un libertin. (Très amoureusement ) Pourrais-je aimer une autre femme ? Ah ! ne crois pas que je te mens, Et que je sois assez infâme Pour trahir mes anciens serments. Pourrais-je aimer une autre femme ? Ne sais-tu pas que désormais Je ne peux plus, ô ma chère âme, Aimer plus que je ne t'aimais ? Je t'appartiens et pour jamais, Pourrais-je aimer une autre femme ? (Il la serre sur son cœur.)
[ CLÉMENT [ Sois donc rassurée ! [ Tu seras toujours [ Ma seule adorée, [ Mes seules amours. [ [ COLETTE [ Je suis rassurée ! [ Je serai toujours [ Ta seule adorée, [ Tes seules amours.
COLETTE Si ta tendresse vaut la mienne, Eh bien, cachons-nous, cher Clément ; Je tremble qu'elle ne revienne Et je crains tout pour mon amant. Viens, là-haut, viens dans la chambrette, Où tu n'appartiendras qu'à moi, Et ne crois pas que je regrette D'y vivre seule avec mon roi, Mon joli roi ; Ce n'est pas l'humble campagnarde Que, sur ton cœur, tu presseras, Mais c'est ta femme qui te garde Et veut mourir entre tes bras.
CLÉMENT et COLETTE Oh ! cher trésor que je possède, Envolons-nous dans l'infini. L'amour charmant, à qui je cède, Est un amour par Dieu béni. Pour moi seul je veux la tendresse, Ton baiser brillant mon baiser, Je veux, d'une ardente caresse, Sur ta poitrine me briser.
CLÉMENT Si tu m'aimes, sois prudente ! sois discrète !
COLETTE Oui, je sais... Demain seulement tu pourras dire que je suis ta femme.
CLÉMENT, vivement. Non ! pas demain !
COLETTE, naïvement. Ah ! c’est remis ?
CLÉMENT Je ne dis pas qu'un jour... mais pour le moment, il faut nous cacher. Viens, ne restons pas ici.
COLETTE C'est vrai, elle pourrait revenir.
CLÉMENT Qui cela ?
COLETTE Cette dame de ce matin. Elle m'a dit de la prévenir aussitôt que tu paraîtrais.
CLÉMENT, étonné. Moi ? Et que me veut-elle ?
COLETTE Je l'ignore.
CLÉMENT, se frappant le front. Ah ! Grand Dieu ! Quelle idée !
COLETTE Qu’as-tu ?
CLÉMENT Si cette femme s'entendait avec mes ennemis, avec ce Roland, pour tenter de nous arracher notre secret. (Très inquiet.) A-t-elle reçu quelqu'un depuis son arrivée ?...
COLETTE Personne que son mari.
CLÉMENT Elle est mariée ?
COLETTE Ce qui ne l'empêche pas de t'aimer.
CLÉMENT Moi ?
COLETTE Elle me l'a dit à moi-même.
CLÉMENT Pour te rendre jalouse, pour te faire jaser... tu ne t'es pas trahie ?
COLETTE Oh ! non. Mais pourquoi tous ces mystères ? Un roi n'est-il pas libre de se marier à sa guise ?
CLÉMENT, vivement. Chut ! Je n'en ai pas le droit... c'est elle !... N'aie pas l'air de me connaître. (Marie paraît.)
SCÈNE XI
LES MÊMES, MARIE MARIE Eh bien ! Colette, pourquoi ne pas m'avertir de la présence du roi ?
CLÉMENT J'arrive à l'instant.
MARIE Seul ?
CLÉMENT, regardant autour de lui. Tout seul.
MARIE, à part. Le duc a craint d'être indiscret. (Haut.) Permettez-moi, sire, de vous féliciter de votre empressement. Voilà qui est d'un bon mari.
CLÉMENT, à part. D'un bon mari ? J'en étais sûr. Elle se doute de quelque chose. (Il fait signe à Colette.)
MARIE Vous n'en voudrez pas, j'espère, à votre femme de vous avoir arraché pendant quelques instants aux graves affaires de votre royaume ?
CLÉMENT, jouant l'étonnement. Ma femme ?
MARIE, minaudant. Vous savez bien qu'elle n'est pas loin de vous. (Elle se penche vers lui, il se retourne du côté de Colette qui lui fait signe qu'elle ne s'est pas trahie.)
CLÉMENT Vous vous trompez... je n'ai point de femme.
MARIE Comment ?
CLÉMENT Je suis célibataire.
MARIE, à part. Ah ! j'y suis, l'étiquette ! (Haut.) Alors, vous êtes venu ici ?
CLÉMENT, embarrassé. Mais… (Tout à coup.) Pour vous !
MARIE Pour moi ?
COLETTE, bas à Clément. Que dis-tu ?
CLÉMENT, bas. Chut ! (Haut.) J'ai été, ce matin, ébloui par votre beauté...
COLETTE, bas. Mais !...
CLÉMENT, bas. Chut donc ! (Haut.) Par votre esprit et...
MARIE Vous avez voulu me revoir ?
CLÉMENT C'est cela... (A part.) Ce n'est pas mal imaginé.
MARIE, frappant dans ses mains. Ah ! que voilà qui est original et galant, et amusant ! Oui, je comprends, je suis pour vous une étrangère, vous m'avez remarquée à la promenade... et vous venez ici, ce soir, pour tenter de faire ma conquête ? Soit ! donc, faites-moi votre cour, je le permets... (Finement.) Votre femme n'en sera pas jalouse.
CLÉMENT Puisque je vous dis…
MARIE Oui, oui, c'est convenu, vous êtes garçon. (A part.) Aujourd'hui encore. (Haut.) Je ne veux rien vous ravir de ce doux privilège.
SCÈNE XII LES MÊMES, GUILLOT
GUILLOT, apportant le vin. Voici le vin. (A part.) Eh ! mais, c'est Clément Marot.
MARIE Vous pouvez servir.
GUILLOT Sans attendre votre mari ?
MARIE, montrant Clément. J'ai trouvé un convive plus agréable.
GUILLOT, à part. Lui ?...
MARIE, à Clément. Vous ne refuserez pas de souper avec moi ?
COLETTE, bas à Clément. Souper ? Ah ! mais non ! (Marie remonte à Guillot.)
CLÉMENT, bas à Colette. Plus de doute, cette femme est chargée de me surveiller. Si je refuse son invitation, elle devinera ce qui m'amène ici, et...
GUILLOT, bas à Marie. C'est convenu. Personne ne vous dérangera. (Il sort.)
SCÈNE XIII MARIE, CLÉMENT, COLETTE
MARIE Que lui contez-vous tout bas ?
CLÉMENT, vivement. Moi ?... Rien.
MARIE Savez-vous bien, sire, que vous lui avez tourné la tête ?
CLÉMENT Quelle folie !
MARIE, riant. N'allez pas en profiter pour lui faire les doux yeux. Je suis très jalouse, je vous en préviens. (Lui prenant le bras.) A table.
CLÉMENT A table.
[ MARIE [ A table ! auprès de moi, [ Asseyez-vous de grâce. [ Souhaitons aujourd'hui que, pour traiter un roi, [ Notre hôte se surpasse. [ [ CLÉMENT [ Obéissons, ma foi, [ Il convient que je fasse [ Ce dernier sacrifice â mon titre de roi. [ (A Marie.) [ Près de vous je prends place.. [ [ COLETTE, à part. [ Leur permettre, sans moi, [ De souper face à face, [ Il a beau l'exiger, je trouve que, ma foi, [ Je suis par trop bonasse.
MARIE, à Colette. Laisse-nous, â présent, Retourne à ton ouvrage.
COLETTE, à part. C'est moi que l'on renvoie ? Allons, c'est fort plaisant.
MARIE Eh bien ! va donc.
COLETTE, à part. J'enrage. (Clément lui fait signe pour la supplier d'obéir.)
MARIE Nous nous servirons bien tout seuls. (A Clément.) N'est-il pas vrai ?
CLÉMENT C'est mon avis. (Il découpe le pâté pour se donner une contenance.)
COLETTE, scandalisée, à part. C'est son avis ? (Elle le pince en passant.) Je veillerai. (Elle sort à gauche.)
CLÉMENT, offrant du pâté à Marie. Cette tranche est appétissante.
MARIE, le servant. Permettez-moi de vous l'offrir.
CLÉMENT Ne croyez pas que j'y consente.
MARIE Permettez !
CLÉMENT Je ne puis souffrir. Que vous vous donniez cette peine. (Elle lui verse à boire.) Je suis confus, en vérité.
MARIE, levant son verre. Je bois au roi.
CLÉMENT, levant le sien. Non, à la reine.
MARIE, vivement. A la reine ?
CLÉMENT De beauté.
[ CLÉMENT, à part. [ Elle paraît douce et bonne, [ Pourtant soyons prudent, [ Car c'est une espionne, [ Sous la fleur se cache un serpent. [ [ MARIE, à part. [ Ce beau titre qu'il me donne, [ Ce titre éblouissant, [ C'est comme une couronne [ Qu'il met à mon front rougissant.
CLÉMENT Vous avez un mari ?
MARIE Un mari peu hardi Qui demain seulement, quand sonnera midi, À mes yeux daignera paraître.
CLÉMENT, inquiet. S'il allait devancer le moment convenu ?
MARIE, baissant les yeux. Il est mon seigneur et mon maître Et près de moi serait le bienvenu. (Etonnement de Clément. Elle rapproche sa chaise.)
COLETTE, venant de gauche, portant une volaille. C'est la poularde. (A part.) J'arrive à temps. De bien près il la regarde.
MARIE, impatientée. Ne peut-on rester seuls pendant quelques instants ? Sortez, je vous l'ordonne.
CLÉMENT, gêné, reculant sa chaise. Elle croyait bien faire... permettez?
MARIE Décidément, je vous soupçonne De me la préférer.
CLÉMENT, vivement. Y pensez-vous ? (A Colette.) Sortez !
MARIE Mais, sortez donc
COLETTE, ahurie. C'est que...
MARIE Sortez !
CLÉMENT Sortez !
[ MARIE [ Allons, mon joli roi, [ Rapprochez-vous, de grâce, [ Ou bien, entre nous deux, faut-il que ce soit moi [ Qui supprime l'espace ? (Elle s'approche.) [ [ CLÉMENT, à part. [ Rapprochons-nous, ma foi, [ Il faut bien que je fasse [ Encor ce sacrifice à mon titre de roi, [ Mais je serai de glace. [ [ COLETTE, à part. [ Leur permettre, sans moi, [ De rester face à face, [ Il a beau l'exiger, je trouve que, ma foi, [ Je suis par trop bonasse. (Elle sort.)
MARIE, près de Clément. De feindre plus longtemps, sire, il n'est pas besoin ; Vous savez qui je suis et je puis tout entendre. Parlez donc. M'aimez-vous ?
CLÉMENT, à part. Diable, comme elle est tendre ! A ce jeu-là nous pourrions aller loin.
MARIE Vous vous taisez et prenez l'air farouche ? Faut-il que, de ma bouche,
S'échappent les premiers aveux ? . . . . . . . . . . . . Chez mon frère, là-bas, dans le parc rempli d'ombre, Lorsque, par les sentiers bordés de vers luisants, Je marchais, caressant les beaux rêves sans nombre Où s'égarent parfois les tètes de seize ans ; Lorsque je consultais la blanche marguerite Pour savoir s'il m'aimait, le doux Prince Charmant, C'est à vous que mon cœur songeait en le nommant, Et je vous reconnus, ce matin, tout de suite ; Je me le figurais bien tel que vous voici. Et si, pour m'éprouver, on m'était venu dire : « Désignez-nous celui que votre cœur désire. » Vous prenant par la main, j'aurais dit : « Celui-ci. »
CLÉMENT, à part. Aurais-je vraiment fait une conquête ? Hum ! Tenons-nous bien !
Colette m'attend... De battre en retraite
MARIE, boudeuse. Eh quoi, vous gardez le silence ?
CLÉMENT, doucement. Je pense A votre époux. Si vous m'aimez ce soir... demain, qu'en ferez-vous ?
MARIE, souriant. Je l'aimerai... j'en donne ma parole, Comme si c'était vous. Embrassez-moi pour lui...
CLÉMENT (Il l'embrasse sur le front. — A part.) Je la crois un peu folle.
[ CLÉMENT, à part. [ Vraiment elle déraisonne ; [ Pourtant soyons prudent, [ Car c'est une luronne. [ Songeons que Colette m'attend. [ [ MARIE [ Par ce baiser qu'il me donne, [ Je lui fais le serment [ D'être docile et bonne [ Et de l'aimer bien tendrement,
COLETTE, entrant de gauche, deuxième plan. Alerte ! Alerte ! (Elle pousse le verrou.)
MARIE, furieuse. Ah ! mais, à la fin...
COLETTE C'est votre mari. (Clément se lève vivement.)
MARIE Quel mari ?
COLETTE Eh bien, monsieur le duc.
MARIE, éclatant de rire. Ah ! c'est le duc ?
CLÉMENT, à part. Il arrive à propos. Moi qui ne savais comment rompre cet entretien.
MARIE, à Colette. Qu'est-ce que tu attends ? Fais-le entrer.
COLETTE, abasourdie. Que je le fasse entrer ?
MARIE Mais oui ! (A Clément.) Il trouve sans doute que le tête-à-tête a assez duré.
CLÉMENT Oui, je crois aussi... Peut-être vaudrait-il mieux... (Il désigne le fond.)
MARIE Quoi ? vous en aller ?
CLÉMENT Je ne veux pas vous compromettre.
MARIE, étonnée. Comment ? (Grand bruit à gauche.)
COLETTE C'est lui, fuyez, monsieur, il est armé, il vous massacrerait !
MARIE, riant. Mais au contraire, il sera ravi de vous trouver encore ici.
CLÉMENT, à part. Singulier mari !
MARIE S'il massacre quelque chose, je gage que ce sera ce poulet, car il doit mourir de faim.
CLÉMENT Quoi ? Vous pensez à le faire souper ?
MARIE Entre nous deux, je le lui ai promis. (Grimace de Clément. Elle ajoute d'un ton câlin :) Ce pauvre homme, ça lui fera tant de plaisir !
CLÉMENT, à part. Pour le coup, c'est trop fort ! (On frappe à gauche, deuxième plan.)
COLETTE, à Clément. Le voilà ! cachez-vous ! (On frappe encore.)
MARIE Il faudra donc que je lui ouvre moi-même. (Elle va tirer le verrou.)
COLETTE, à Clément. Vite, par ici, dans un instant je te rejoindrai.
CLÉMENT, bas à Colette. Excellent mari, il ne sait pas quel service il nous rend ! (Il sort à droite après avoir embrassé Colette.)
SCÈNE XIV
LE DUC, entrant à gauche. Arrivez donc, maître Guillot, j'ai manqué me casser la tête dans votre corridor.
GUILLOT Vous ne vouliez pas attendre que l'on vous éclairât. (Bas, à Marie.) J'ai fait ce que j'ai pu pour le retenir.
MARIE Vous dites ? Mêlez-vous de vos affaires.
GUILLOT, à part. Si c'est ainsi qu'elle me remercie
LE DUC, bas à Marie. Que vous disais-je ? Le roi ne viendra pas.
MARIE Vous croyez ?
LE DUC Il s'est mis au lit à huit heures et ne m'a pas reçu.
MARIE Vous lui avez fait faire ma commission, pourtant ?
LE DUC Par l’écuyer de service.
MARIE Et qu’a-t-il répondu ?
LE DUC Rien... Il dormait.
MARIE, riant. Il dormait ? Vraiment ?
LE DUC, comprimant un bâillement. L'heureux homme !
MARIE J'ai donc bien fait de ne pas l'attendre et de souper sans lui.
LE DUC Vous avez soupé ? (Il examine la table.) Deux couverts. (Inquiet.) Avec qui ?
MARIE, riant. Devinez.
GUILLOT, bas à Colette. Dis que c'est avec toi.
COLETTE, haut. C'est avec moi.
MARIE, riant. Mais pas du tout !
GUILLOT, à part. Ah ! elle n'est pas adroite !
LE DUC, trouvant les vêtements de Clément. A qui ce manteau ?... Ce chapeau ?
GUILLOT Il va la tuer !... (Il veut s'interposer.)
MARIE A un charmant cavalier qui a bien voulu me tenir compagnie en votre absence.
GUILLOT, au duc. Pardonnez-lui !
LE DUC, prenant Guillot au collet. Vous avez laissé entrer un homme ici, vous ?
GUILLOT Vous ne m'aviez pas donné votre femme à garder.
LE DUC, furieux. Quel est-il ?... Je veux... je dois le savoir.
MARIE, riant. Calmez-vous !
GUILLOT Ça va se gâter. J'aime mieux m'en aller. (Il sort à gauche.)
SCÈNE XV LES MÊMES, moins GUILLOT
MARIE J'aurais voulu vous présenter mon convive, mais il est très timide et vous l'avez mis en fuite.
COLETTE, à part. Comme elle lui parle ! C'est moi qui filerais doux à sa place.
MARIE Peut-être n'a- t-il pas quitté la maison... Je vais essayer de le retrouver. (Elle prend un des bougeoirs.) Restez ici et attendez-moi... Vous me ferez compliment, vous verrez. (Il fait mine de la suivre.) Non, non, je vous défends de me suivre. (Elle sort à droite.)
SCÈNE XVI
COLETTE, à part. C'est peut-être comme ça qu'il faut traiter les hommes.
LE DUC, à part.
COLETTE, s'interposant. Vous ne passerez pas.
LE DUC, la prenant par le bras. Vous étiez là ? Vous l'avez vu, cet homme ?
COLETTE, effrayée. Oui.
LE DUC Vous le connaissez ?
COLETTE Oui.
LE DUC Son nom, petite malheureuse... Dites-moi son nom.
COLETTE, tombant à genoux. Grâce !
LE DUC Parlez, ou... (Il lève les bras sur elle.)
COLETTE, se cachant la figure. Eh bien, c'est...
LE DUC C'est ?
COLETTE Le roi.
LE DUC, subitement radouci. Le roi ? (A part.) Comment ? il est venu ? (Haut.) C'est le roi ? Vous en êtes sûre ?... Oh ! mais alors c'est très différent.
COLETTE, très étonnée. Comment ?
LE DUC Je n'ai plus rien à dire.
COLETTE Ah bah !
Couplets
LE DUC Pour calmer mon courroux, Ce mot devait suffire. C'est le roi, dites-vous ? C'est le roi ? Je respire !
I Ce début est d'un bon augure Et j'en veux rendre grâce aux cieux. Ensemble je me les figure, Emus et les yeux dans les yeux. Elle a ce qu'il faut pour lui plaire, Un teint, des dents... et cætera, Le regard doux et la voix claire : Bref, je crois qu'elle lui plaira.
Eh! que ne parliez-vous? Pour calmer mon courroux, Ce mot devait suffire. C'est le roi, dites-vous ? C'est le roi ? Je respire !
II S'ils s'aiment comme je souhaite, A moi les honneurs, le pouvoir ; Pour le coup, ma fortune est faite, Bienfaits et cadeaux vont pleuvoir. Mais dessus tout, ce que j'espère C'est de voir notre suzerain Avant un an, devenir père Et d'être choisi pour parrain.
Eh ! que ne parliez-vous ? Pour calmer mon courroux, Ce mot devait suffire. C'est le roi, dites-vous ? C'est le roi ? Je respire ! (Il tombe assis près de la table.)
|
Version de la reprise de 1900 (édition du 08 juin 1921)
ACTE DEUXIÈME
La grande salle de l'hôtellerie du Plat-d'Etain. Au fond, large baie vitrée donnant sur la place que l'on a vue au 1er acte. Porte ouvrant sur ladite place, portes à droite et à gauche. Une galerie de bois court, à la hauteur du premier étage, tout autour de la salle. Un escalier y conduit de la scène avec une large rampe. Grande cheminée à droite. En scène, tables, bancs, chaises, horloge à poids, buffets. Il fait nuit. Chandelles allumées.
SCÈNE PREMIÈRE (Au lever du rideau, les clercs et leurs maîtresses sont attablés, en train de boire, servis par Guillot, Colette et Jacquet. D'autres dansent. Divertissement.)
Chœur
LES CLERCS A vous, belles maîtresses, Qui charmez nos instants, Nos plus chaudes caresses, Les fleurs de nos printemps ; Abeilles peu farouches, Vos baisers inconstants Récoltent sur nos bouches Le miel de nos vingt ans.
LES FILLES Donnez à vos maîtresses Quelques joyeux instants, Vos plus chaudes caresses, Les fleurs de vos printemps ; Abeilles peu farouches, Nos baisers inconstants Récoltent sur vos bouches Le miel de vos vingt ans.
COLETTE, servant à boire, à part. Quelle bruyante compagnie, Chez nous, ce soir est réunie.
LES CLERCS Holà ! du vin ! à boire ! holà !
GUILLOT Colette, allons !
COLETTE Voilà ! Voilà !
ROLAND, l'arrêtant au passage. Eh quoi, c'est vous, dans cette auberge ?
COLETTE Pour vous servir.
ROLAND Vous feriez mieux, vraiment, De surveiller un peu...
COLETTE Qui donc ?
ROLAND Votre Clément. (Bas, en l'observant.)
Chez mainte dame il se goberge Ainsi que dans leur cœur...
COLETTE Ah !
ROLAND, à part. Elle a tressailli.
COLETTE, se remettant. Que m'importe ! (Elle lui échappe.)
ROLAND, à part. Bien, fais la mijaurée. (A ses amis.) C'est sa femme. Il viendra la voir dans la soirée, Je te gage ; et tous deux nous les prendrons ici. (A part.) Je tiendrai mon rival enfin à ma merci !
LE VEILLEUR DE NUIT, au dehors. Il est neuf heures, Le temps est frais. Dans vos demeures Rentrez en paix. (Neuf heures sonnent.)
[ GUILLOT, à voix basse. [ Voici le guet qui passe, [ Il faut quitter la place ; [ Bonsoir, Messieurs bonsoir [ Et revenez me voir [ La nuit est très obscure [ Et la route peu sûre, [ Il est moins hasardeux [ De rentrer deux à deux. [ [ LES CLERCS, LES RIBAUDES, à voix basse. [ Voici le guet qui passe, [ Vite quittons la place ; [ Bonsoir, Guillot bonsoir [ Nous reviendrons te voir [ La nuit est très obscure [ Et la route peu sûre, [ Il est moins hasardeux [ De rentrer deux à deux. (Chaque clerc prend une fille sous son bras, et sort par le fond. La musique continue.)
GUILLOT (Parlé.) Toi, Colette, range un peu cette salle, tandis que je vais mettre les volets avec Jacquet ; ensuite tu mettras le couvert de nos hôtes et tu t'en iras à la cuisine pour y préparer leur repas. (Il sort avec Jacquet.)
SCÈNE II
COLETTE, seule (Elle range sur les tables, et sort d'un buffet une nappe, des serviettes et des assiettes qu'elle essuie.) A la cuisine ?... Moi ?... Une reine de France à la cuisine ?... Car, enfin... il n'y a pas à dire, mon bel ami... si c'est Clément qui est le roi... c'est moi alors qui suis la reine... Ma pauvre mère va-t-elle être étonnée !... Il est vrai qu'on m'a fait promettre de ne rien dire... Je comprends, il ne peut pas me présenter à tous ces ducs et ces barons qui l'entourent, en leur disant : « Voila ma femme, Colette, une petite paysanne qui ne sait ni lire ni écrire... » Non, non, je me tairai... et nous continuerons à nous voir en secret, comme ce soir... car il va venir... C'est que je ne vais plus oser l'embrasser... un roi. (Elle reste rêveuse.)
SCÈNE III
GUILLOT, venant du fond et fermant la porte intérieurement. Eh bien ! c'est ainsi que tu travailles ? Le couvert n'est pas mis ? A quoi penses-tu, fainéante ?
COLETTE, à part. Fainéante ?... S'il savait à qui il parle ! (Haut.) Ne vous fâchez pas, maître Guillot, ce sera bientôt fait. (Elle met le couvert, aidée par Guillot.)
GUILLOT Ah ! c'est qu'il faudra se trémousser. Nous allons en avoir un monde demain !
COLETTE Pourquoi donc ?
GUILLOT Parce que c'est demain, à midi, que la jeune reine fera son entrée dans Paris.
COLETTE, dressant l'oreille. La jeune reine ?
GUILLOT Oui. Le roi s'est marié depuis peu.
COLETTE, à part. On le sait donc ?
GUILLOT Et c'est demain qu'il fera connaître à tous sa femme.
COLETTE Demain ?
GUILLOT Qu'il la présentera à sa cour.
COLETTE A sa cour ?
GUILLOT Et qu'il la fera asseoir à ses côtés, sur le trône de France !
COLETTE, tombant sur une chaise. Il la fera asseoir.
GUILLOT Qu'est-ce que tu as ?
COLETTE, se remettant. Rien, rien... Et cette jeune reine, la connaît-on ?
GUILLOT Pas encore. Elle est là-bas, quelque part dans un petit village des environs de Paris.
COLETTE, à part. C'est bien cela. (Haut.) A Chevreuse.
GUILLOT Chevreuse ? Non, je croyais... Pontoise.
COLETTE, avec assurance. Non, non, Chevreuse.
GUILLOT Au fait, tu as peut-être raison... A Chevreuse, où elle attend le bon plaisir de son seigneur et maître.
COLETTE Et que pense-t-on de ce mariage ?
GUILLOT Mais tout le monde en est enchanté, moi tout le premier, parce que, tu comprends, une reine c'est bon, compatissant au pauvre peuple.
COLETTE, avec émotion. Oh ! oui, elle le sera... et si jamais, mon brave monsieur Guillot, je puis faire quelque chose pour vous... (Elle lui prend les mains.)
GUILLOT, éclatant de rire. Toi ?
COLETTE Oui... (Balbutiant.) Je veux dire que... vous êtes un bon maître... et que je vous servirai bien.
GUILLOT J'y compte, Colette... Tu ne me coûtes rien, c'est vrai.
COLETTE C'est moi qui l'ai voulu.
GUILLOT, noblement. Mais cela ne m'empêchera pas de te savoir gré de tes services, tout comme si je les payais. (Marie paraît sur l'escalier.)
SCÈNE IV
MARIE, à Guillot. Vous n'avez pas revu... mon mari ?
GUILLOT Non, madame.
MARIE, à part. Que peut-il être devenu ? (Haut.) Dès qu'il paraîtra, vous pourrez servir.
GUILLOT Tu entends, Colette. (Il sort à gauche, deuxième plan )
SCÈNE V MARIE, COLETTE, LES CLERCS, au dehors.
Scène et Duetto
COLETTE (Parlé.) Servir cette femme ! cette bourgeoise ! Enfin, patientons. (Elle continue à préparer la table.)
LES CLERCS, dans le lointain. Fêtons cette journée Qui bientôt va finir ; Tout le long de l'année Gardons son souvenir.
Duetto
MARIE, répétant d'un air rêveur, le madrigal du premier acte, en respirant la fleur que lui a donnée Clément. Si, de la souveraineté, Il nous fallait chercher le signe Dans un teint aux blancheurs de cygne, Dans la grâce, dans la beauté... (S'interrompant.) Quelle galanterie ! Ah ! que les hommes sont moqueurs ! Comme un brin de coquetterie A vite raison de leurs cœurs ! (Elle marche avec agitation.)
COLETTE Qu'avez-vous ?
MARIE La fièvre m'oppresse, Une langueur enchanteresse, Comme la nuit succède au jour, Remplace brusquement mon rire par des larmes.
COLETTE, riant. Je reconnais le mal qui cause vos alarmes : C'est l'amour.
MARIE De l'amour, Oui, c'est le signe, Ce trouble ravissant qui cause mon effroi. (Avec éclat.) J'aime !
COLETTE Et qui donc ?
MARIE Le roi.
COLETTE, avec un mouvement. Le roi ?
MARIE En est-il un plus digne ?
COLETTE A peine l'avez-vous entrevu ce matin.
MARIE Un seul regard suffit à fixer mon destin, Tout me plaît et m'enchante. Tout me séduit en lui, Autour de moi tout chante Et sourit aujourd'hui. C'est l'amour, douce flamme, Qui pénètre en mon cœur, Et qui remplit mon âme De joie et de bonheur !
COLETTE, d'un air pincé. Votre cœur, vraiment, Prend feu bien rapidement.
MARIE Chacune doit, bourgeoise ou bachelette, Aimer son roi.
COLETTE Puisqu'il en est ainsi, Sachez-le donc, je l'aime aussi.
MARIE, éclatant de rire. Qui ? toi, Colette ?
COLETTE
Vous riez ? MARIE, riant toujours. Eh ! crois-tu Que jamais un roi se vante De triompher de la vertu D'une servante ?
COLETTE, vexée, avec une révérence. Sauf le respect que je vous dois, Si je sais compter sur mes doigts, Ma conquête vaut bien celle d'une bourgeoise.
MARIE Holà ! vas-tu-me chercher noise ?
[ COLETTE, à part.
[ Si de mon rang je pouvais faire, [ [ MARIE, à part.
[ Et c'est à moi qu'elle vient faire
SCÈNE VI
GUILLOT, entrant. Madame, je vous annonce votre mari.
LE DUC, entrant. Me voilà... ouf ! (Il s'essuie le front.)
MARIE Ah ! c'est vous, enfin ?
GUILLOT Toi, Colette, à la cuisine, et activons le souper de nos hôtes. (Il sort, avec Colette à gauche, deuxième plan.)
SCÈNE VII MARIE, LE DUC
MARIE, assise près de la cheminée. Eh ! d'où venez-vous à cette heure, mon cher duc ? J'allais souper sans vous.
LE DUC Vous voulez le savoir ?... Eh bien, j'ai été à l'hôtel des Tournelles, chez le roi.
MARIE Chez mon mari ? Pour quoi faire ?
LE DUC Pour lui raconter votre escapade, lui faire connaître votre présence dans Paris.
MARIE Vous lui avez dit que j'étais ici, près de lui... et il n'a pas témoigné le désir de me voir ?... Il n'a pas eu la curiosité de vous accompagner pour connaître sa femme ?
LE DUC Y songez-vous ?... L'étiquette !...
MARIE L'étiquette ! Est-ce que ça compte à son âge !
LE DUC, à part. Elle y tient... Il faudra pourtant bien lui avouer...
MARIE, se levant. Vous allez retourner auprès de lui... tout de suite... et l'inviter, en mon nom, à venir partager notre souper.
LE DUC, ahuri. Notre souper ?... jamais il n'y consentira.
MARIE, souriant. Vous croyez ?... Dites-lui seulement que c'est à l'hôtellerie du Plat-d'Etain que je demeure, sous ce simple costume... Remettez-lui de ma part cette fleur... (Elle lui donne la fleur de Clément qu'elle a à son corsage.) et je vous réponds qu'il viendra.
LE DUC, à part. Si jamais on m'y reprend !...
MARIE Obéissez, mon cher duc... (Le câlinant.) Ce sera si gentil, ce petit repas de fiançailles, à nous trois, en attendant les ennuyeuses formalités de demain... Allez, allez donc !
LE DUC C'est que, vous l'avouerai-je, Majesté, je tombe de sommeil. Se lever à six heures du matin, trotter tout un jour sur le pavé de Paris... c'est pénible.
MARIE, gentiment. Vous dormirez après souper... allez vite. (Le Duc sort. Colette est entrée, apportant un pâté.)
SCÈNE VIII MARIE, COLETTE
COLETTE, à la table. Madame va donc souper toute seule ?
MARIE Peut-être. (A part.) Je ne puis le recevoir ainsi... (A Colette.) Viens m'aider à rajuster cette coiffure... Ou plutôt, non, demeure et dès qu'il paraîtra, préviens-moi.
COLETTE Dès qu'il paraîtra ? Qui ?
MARIE Le roi. (Elle remonte chez elle.)
SCÈNE IX
Le roi ? Comment sait-elle qu'il doit venir ? Qui donc nous a trahis ? (On frappe à la porte du fond.) Ah !... c'est lui. (S'appuyant sur la table.) Eh bien est-ce qu'il va me faire peur à présent ? Ouvrons. (Elle va ouvrir la porte. Clément entre très mystérieusement.)
Duo
CLÉMENT Ah ! Colette, c'est toi ? Vite, ferme la porte. A mes pas attachée, une garde d'honneur, Partout me fait escorte ; Près d'ici par bonheur, Elle a perdu ma trace. (Il revient à Colette.) Viens ça que je t'embrasse.
COLETTE, tombant à ses pieds. Sire !
CLÉMENT Comment ? A genoux devant moi ? Y penses-tu ?
COLETTE N'êtes-vous pas le roi ?
CLÉMENT Le roi, c'est vrai, cela t'étonne ?
COLETTE Un peu.
CLÉMENT Pas plus que moi. (Colette le regarde avec étonnement.) Mais soyons sérieux, Ecoute, nul ne doit me savoir en ces lieux.
COLETTE, avec un reproche. Quelqu'un vous attendait pourtant. (Clément la regarde avec étonnement.) Cette personne, A laquelle, tantôt, vous fîtes les doux yeux.
CLÉMENT C'était pour mieux donner, le change Et mieux cacher notre secret.
COLETTE Elle est folle de vous.
CLÉMENT De moi ? C'est bien étrange. Je ne la connais point.
COLETTE, piquée. Vous faites le discret.
CLÉMENT Eh quoi, méchante, une querelle !
COLETTE, tombant dans ses bras. Ah ! ne me trahis pas pour elle !
CLÉMENT Pour la première fois, je la vis ce matin. Va ! ton Clément n'est pas un libertin. (Très amoureusement.) Pourrais-je aimer une autre femme ? Ah ! ne crois pas que je te mens, Et que je sois assez infâme Pour trahir mes anciens serments. Pourrais-je aimer une autre femme ? Ne sais-tu pas que désormais Je ne peux plus, ô ma chère âme, Aimer plus que je ne t'aimais ? Je t'appartiens et pour jamais, Pourrais-je aimer une autre femme ? (Il la serre sur son cœur.)
[ CLÉMENT [ Sois donc rassurée ! [ Tu seras toujours [ Ma seule adorée, [ Mes seules amours. [ [ COLETTE [ Je suis rassurée ! [ Je serai toujours [ Ta seule adorée, [ Tes seules amours.
COLETTE Si ta tendresse vaut la mienne, Eh bien, cachons nous, cher Clément ; Je tremble qu'elle ne revienne Et je crains tout pour mon amant. Viens, là-haut, viens dans la chambrette, Où tu n'appartiendras qu'à moi, Et ne crois pas que je regrette D'y vivre seule avec mon roi, Mon joli roi ; Ce n'est pas l'humble campagnarde Que, sur ton cœur tu presseras, Mais c'est ta femme qui te garde Et veut mourir entre tes bras.
CLÉMENT et COLETTE Oh ! cher trésor que je possède, Envolons-nous dans l'infini. L'amour charmant, à qui je cède, Est un amour par Dieu béni. Pour moi seul je veux ta tendresse, Ton baiser brûlant mon baiser, Je veux, d'une ardente caresse, Sur ta poitrine me briser.
CLÉMENT Si tu m'aimes, sois prudente ! sois discrète !
COLETTE Oui, je sais... Demain seulement tu pourras dire que je suis ta femme.
CLÉMENT, vivement. Non ! pas demain !
COLETTE, naïvement. Ah ! c'est remis ?
CLÉMENT Je ne dis pas qu'un jour... mais pour le moment, il fart nous cacher. Viens, ne restons pas ici.
COLETTE C'est vrai, elle pourrait revenir.
CLÉMENT Qui cela ?
COLETTE Cette dame de ce matin. Elle m'a dit de la prévenir aussitôt que tu paraîtrais.
CLÉMENT, étonné. Moi ? Et que me veut-elle ?
COLETTE Je l'ignore.
CLÉMENT, se frappant le front. Ah ! grand Dieu ! Quelle idée !
COLETTE Qu'as-tu ?
CLÉMENT Si cette femme. s'entendait avec mes ennemis, avec ce Roland, pour tenter de nous arracher notre secret. (Très inquiet.) A-t-elle reçu quelqu'un depuis son arrivée ?...
COLETTE Personne que son mari.
CLÉMENT Elle est mariée ?
COLETTE Ce qui ne l'empêche pas de t'aimer.
CLÉMENT Moi ?
COLETTE Elle me l'a dit à moi-même.
CLÉMENT Pour te rendre jalouse, pour te faire jaser... Tu ne t'es pas trahie ?
COLETTE Oh ! non. Mais pourquoi tous ces mystères ? Un roi n'est-il pas libre de se marier a sa guise ?
CLÉMENT, vivement. Chut ! Je n'en ai pas le droit... c'est elle ! N'aie pas l'air de me connaître. (Marie paraît.)
SCÈNE X LES MÊMES, MARIE
MARIE Eh bien, Colette, pourquoi ne pas m'avertir de la présence du roi ?
CLÉMENT J'arrive à l'instant.
MARIE Permettez- moi, sire, de vous féliciter de votre empressement. Voilà qui est d'un bon mari.
CLÉMENT, à part. D'un bon mari ? J'en étais sûr. Elle se doute de quelque chose. (Il fait signe à Colette.)
MARIE Vous n'en voudrez pas, j'espère, â votre femme de vous arracher pendant quelques instants aux graves affaires de votre royaume ?
CLÉMENT, jouant l'étonnement. Ma femme ?
MARIE, minaudant. Vous savez bien qu'elle n'est pas loin de vous... (Elle se penche vers lui, il se retourne du côté de Colette qui lui fait signe qu'elle ne s'est pas trahie.)
CLÉMENT Vous vous trompez... je n'ai point de femme.
MARIE Comment ?
CLÉMENT Je suis célibataire.
MARIE, à part. Ah ! j'y suis, l'étiquette ! (Haut.) Alors, vous êtes venu ici ?
CLÉMENT, embarrassé. Mais... (Tout à coup.) Pour vous !
MARIE Pour moi ?
COLETTE, bas à Clément. Que dis-tu ?
CLÉMENT, bas. Chut ! (Haut.) J'ai été, ce matin, ébloui par votre beauté...
COLETTE, bas. Mais !
CLÉMENT, bas. Chut donc ! (Haut.) Par votre esprit et...
MARIE Vous avez voulu me revoir ?
CLÉMENT C'est cela...
MARIE, frappant dans ses mains. Ah ! que voilà qui est original et galant, et amusant ! Oui, je comprends, je suis pour vous une étrangère, vous m'avez remarquée à la promenade... et vous venez ici, ce soir, pour tenter de faire ma conquête ! Soit ? donc, faites-moi votre cour, je le permets... (Finement.) Votre femme n'en sera pas jalouse.
CLÉMENT Puisque je vous dis...
MARIE Oui, oui, c'est convenu, vous êtes garçon. (A part.) Aujourd'hui encore. (Haut.) Je ne veux rien vous ravir de ce doux privilège.
SCÈNE XI
GUILLOT, apportant le vin. Voici le vin. (A part.) Eh ! mais, c'est Clément Marot.
MARIE Vous pouvez servir.
GUILLOT Sans attendre votre mari ?
MARIE, montrant Clément. J'ai trouvé un convive plus agréable.
GUILLOT, à part. Lui ?... (Il sort.)
MARIE, à Clément. Vous ne refuserez pas de souper avec moi ?
COLETTE Souper ? Ah ! mais non !
MARIE Que dit-elle ?
CLÉMENT Ne faites pas attention. (Il fait signe à Colette.)
SCÈNE XII MARIE, CLÉMENT, COLETTE
MARIE Savez-vous bien, sire, que vous lui avez tourné la tête ?
CLÉMENT Quelle folie !
MARIE, riant. N'allez pas en profiter pour lui faire les doux yeux. Je suis très jalouse, je vous en préviens. (Lui prenant le bras.) A table.
CLÉMENT A table.
Trio
[ MARIE
[ A table ! auprès de moi, [ Notre hôte se surpasse. [ [ CLÉMENT [ Obéissons, ma foi, [ Il convient que je fasse [ Ce dernier sacrifice à mon titre de roi. [ (A Marie.) [ Près de vous je prends place. [ [ COLETTE, à part. [ Leur permettre, sans moi, [ De souper face à face, [ Il a beau l'exiger, je trouve que, ma foi, [ Je suis par trop bonasse.
MARIE, à Colette. Laisse-nous, à présent, Retourne à ton ouvrage.
COLETTE, à part. C'est moi que l'on renvoie ? Allons, c'est fort plaisant.
Eh bien ! va donc.
COLETTE, à part. (Clément lui fait signe pour la supplier d'obéir.)
MARIE Nous nous servirons bien tout seuls. (A Clément.) N'est-il pas vrai ?
CLÉMENT C'est mon avis. (Il découpe le pâté pour se donner une contenance.)
COLETTE, scandalisée, à part. C'est son avis ? (Elle le pince en passant.) Je veillerai. (Elle sort à gauche.)
CLÉMENT, offrant du pâté à Marie. Cette tranche est appétissante.
MARIE, le servant. Permettez-moi de vous l'offrir.
CLÉMENT Ne croyez pas que j'y consente.
MARIE Permettez !
CLÉMENT Je ne puis souffrir Que vous vous donniez cette peine. (Elle lui verse à boire.) Je suis confus, en vérité.
CLÉMENT, inquiet. Vous avez un mari ?
MARIE Un mari peu hardi
Qui demain seulement, quand sonnera midi,
CLÉMENT, inquiet. S'il allait devancer le moment convenu ?
MARIE, baissant les yeux. Il est mon seigneur et mon maître Et près de moi serait le bienvenu. (Etonnement de Clément. Elle rapproche sa chaise.)
COLETTE, venant de gauche, portant une volaille. C'est la poularde. (A part.) J'arrive à temps. De bien près il la regarde.
MARIE, impatientée.
Ne peut-on rester seuls pendant quelques
instants ?
CLÉMENT, gêné, reculant sa chaise.
Décidément je vous soupçonne De me la préférer.
CLÉMENT, vivement. Y pensez-vous ? (A Colette.) Sortez ! Mais sortez donc !
MARIE Mais sortez donc !
COLETTE, ahurie. C'est que...
MARIE Sortez !
CLÉMENT Sortez !
[ MARIE [ Allons, mon joli roi, [ Rapprochez-vous de grâce, [ Ou bien, entre nous deux, faut-il que ce soit moi [ Qui supprime l'espace ? (Elle s'approche.) [ [ CLÉMENT, à part. [ Rapprochons-nous, ma foi, [ Il faut bien que je fasse [ Encor ce sacrifice à mon titre de roi, [ Mais je serai de glace. [ [ COLETTE, à part. [ Leur permettre, sans moi, [ De rester face à face,
[ Il a beau l'exiger, je trouve que, ma
foi,
MARIE, près de Clément. De feindre plus longtemps, sire, il n'est pas besoin ; Vous savez qui je suis et je puis tout entendre. Parlez donc. M'aimez-vous ?
CLÉMENT, à part. Diable, comme elle est tendre ! A ce jeu-là nous pourrions aller loin.
MARIE Vous vous taisez et prenez l'air farouche, Faut-il que, de ma bouche,
S'échappent les premiers aveux ? . . . . . . . . . . . . Chez mon frère, là-bas, dans le parc rempli d'ombre, Lorsque, par les sentiers bordés de vers luisants, Je marchais, caressant les beaux rêves sans nombre Où s'égarent parfois les têtes de seize ans ; Lorsque je consultais la blanche marguerite Pour savoir s'il m'aimait, le doux Prince Charmant, C'est vous que mon cœur songeait en le nommant, Et je vous reconnus ce matin, tout de suite ; Je me le figurais bien tel que vous voici. Et si, pour m'éprouver, on m'était venu dire : « Désignez-nous celui que votre cœur désire. » Vous prenant par la main, j'aurais dit : « Celui-ci. »
CLÉMENT, à part. Aurais-je vraiment fait une conquête ? Hum ! Tenons-nous bien ! Colette m'attend... De battre en retraite Cherchons un moyen.
MARIE, boudeuse. Eh quoi, vous gardez le silence ?
CLÉMENT, doucement, Je pense A votre époux. Si vous m'aimez ce soir... demain, qu'en ferez-vous ?
MARIE, souriant. Je l'aimerai... j'en donne ma parole, Comme si c'était vous. Embrassez-moi pour lui...
CLÉMENT (Il l'embrasse sur le front. — A part.) Je la crois un peu folle.
[ CLÉMENT, à part. [ Vraiment elle déraisonne ; [ Pourtant, soyons prudent, [ Car c'est une luronne. [ Songeons que Colette m'attend. [ [ MARIE [ Par ce baiser qu'il me donne, [ Je lui fais le serment [ D'être docile et bonne [ Et de l'aimer bien tendrement.
COLETTE, entrant de gauche, deuxième plan. Alerte ! Alerte !
MARIE, furieuse. Ah ! mais, à la fin...
COLETTE C'est votre mari. (Clément se lève vivement.)
MARIE Quel mari ?
COLETTE Eh bien, monsieur le duc.
MARIE, éclatant de rire. Ah ! c'est le duc ?
CLÉMENT, à part. Il arrive à propos.
MARIE, à Colette. Qu'est-ce que tu attends ? Fais-le entrer !
COLETTE, abasourdie. Que je le fasse entrer ?
MARIE Et ajoute un couvert. Il doit mourir de faim.
COLETTE, à Clément. Le voilà ! cache-toi ! (Elle le pousse dehors.)
SCÈNE XIII
LE DUC, entrant à gauche. Arrivez donc, maître Guillot, j'ai manqué me casser la tête dans votre corridor.
GUILLOT Vous ne vouliez pas attendre que l'on vous éclairât. (Bas à Marie.) J'ai fait ce que j'ai pu pour le retenir.
LE DUC, bas à Marie. Que vous disais-je ? Le roi ne viendra pas.
MARIE Vous croyez ?
LE DUC Il s'est mis au lit à huit heures et ne m'a pas reçu.
MARIE Vous lui avez fait faire ma commission, pourtant ?
LE DUC Par l'écuyer de service.
MARIE Et qu'a-t-il répondu ?
LE DUC Rien... Il dormait.
MARIE, riant. Il dormait ? Vraiment ?
LE DUC, comprimant un bâillement. L'heureux homme !
MARIE J'ai donc bien fait de ne pas l'attendre et de souper sans lui.
LE DUC Vous avez soupé ? (Il examine la table.) Deux couverts. (Inquiet.) Avec qui ?
MARIE, riant. Devinez !
GUILLOT, bas à Colette. Dis que c'est avec toi.
COLETTE, haut. C'est avec moi.
MARIE, riant. Mais pas du tout !
GUILLOT, à part. Ah ! elle n'est pas adroite !
LE DUC, trouvant les vêtements de Clément. A qui ce manteau ?... Ce chapeau ?
GUILLOT Il va la tuer !... (Il veut s'interposer.)
MARIE A un charmant cavalier qui a bien voulu me tenir compagnie en votre absence.
GUILLOT, au duc. Pardonnez-lui !
LE DUC, prenant Guillot au collet. Vous avez laissé entrer un homme ici, vous ?
GUILLOT Vous ne m'aviez pas donné votre femme à garder.
LE DUC, furieux. Quel est-il ?.. Je veux... je dois le savoir.
MARIE, riant. Calmez-vous !
GUILLOT Ça va se gâter. J'aime mieux m'en aller. (Il sort à gauche.)
SCÈNE XIV LES MÊMES, moins GUILLOT
J'aurais voulu vous présenter mon convive, mais il est très timide et vous l'avez mis en fuite. Peut-être n'a-t-il pas quitté la maison... Je vais essayer de le retrouver. (Il fait mine de la suivre.) Non, non, je vous défends de me suivre. (Elle sort à droite.) < |